Ils s’aiment dans plusieurs langues

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De plus en plus de francophones se mettent en ménage avec des anglophones, en Colombie-Britannique. Cela n’est pas sans conséquence, notamment lorsqu’il est question d’aborder l’éducation des enfants. Coup de projecteur sur un phénomène grandissant.

« Un couple, deux langues, deux cultures ! » C’est en ces termes que le professeur Rodrigue Landry définit l’exogamie, soit un couple qui ne partage pas les mêmes origines. De 2002 à 2012, cet universitaire a dirigé l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Il l’affirme, plus un groupe minoritaire est dispersé sur un territoire (tels les francophones au Canada, hors Québec), plus cette mixité identitaire s’observe.

Glen Taylor, consultant pour la Commission nationale des parents francophones (CNPF), parle d’« un phénomène grandissant ». En Colombie-Britannique, comme dans d’autres provinces, il n’est pas rare de rencontrer des familles dont les parents ont des langues maternelles différentes. Sonya Marcinkowska et son époux en sont un exemple.

Cette maman de deux filles de 8 ans et de 18 mois, a grandi à Montréal. Il y a dix ans, elle a mis le cap à l’Ouest. « J’ai rencontré mon mari ici. Nous vivons à Surrey », détaille-t-elle. Elle est francophone, lui anglophone. Est-ce une source d’épanouissement ou de conflits ? « De mon point de vue, c’est très positif. Ça a enrichi la vie de mon mari, et la mienne. Je lui ai fait découvrir une autre culture que la sienne, et réciproquement. »

Tout n’est pas que joie et découverte. Les Marcinkowska, et toutes celles et ceux qui se retrouvent dans leur cas, font face à des défis. « Parce qu’elles ont décidé de vivre ensemble, ces familles ont d’importants choix à faire. Des choix de vie notamment. Cela s’impose d’autant plus dès lors qu’il y a des enfants », expose Rodrigue Landry.

L’école francophone, une évidence

Annick Rahkola a, elle aussi, vécu au Québec. Elle s’est installée
à Penticton. Elle et son mari, qu’elle a connu en Colombie-Britannique, sont les parents de trois enfants de 6, 4 et 2 ans. Lorsqu’il a été question de préparer leur scolarisation, les inscrire dans un établissement francophone lui est apparu comme une évidence.

« Faisant partie d’une famille exogame qui vit dans un milieu anglophone, je voulais que mes enfants soient à l’aise dans les deux langue et qu’ils puissent s’exprimer aussi bien en français qu’en anglais. Il est très important pour moi qu’ils comprennent grand-papa et grand-maman, et qu’ils se fassent comprendre d’eux ainsi que du reste de ma famille qui vit toujours au Québec », explique-t-elle. Son aîné fréquente l’école Entre-lacs et sa cadette, la prématernelle Pomme Soleil.

Sonya Marcinkowska est passée par les mêmes interrogations. S’il est trop tôt pour penser aux cours de classe de sa benjamine encore en couches-culottes, sa première fille est élève à l’école Gabrielle-Roy. Cela demande une organisation permanente.

La plupart du temps, les couples exogames tiennent à ce que leurs enfants grandissent dans les deux langues qui définissent leur famille.

La plupart du temps, les couples exogames tiennent à ce que leurs enfants grandissent dans les deux langues qui définissent leur famille.

« Ce sont des compromis au quotidien. Par exemple, c’est moi qui m’occupe du suivi des devoirs parce qu’ils sont en français. Quand je suis seule avec mes filles, je leur parle en français. Mais quand nous sommes tous les quatre, nous parlons anglais. L’équipe pédagogique à l’école insiste sur la nécessité de procurer à nos enfants un environnement francophone. Je le conçois. Ils ne voient pas que c’est aussi notre équilibre familial et pas seulement l’éducation des enfants qui est en jeu. Je ne veux pas que mon mari se sente exclu. »

« Le malaise des anglophones, plus une réserve qu’un désintérêt »

Dans un couple franco/anglophone, la place du parent qui parle la langue de Molière est aussi primordiale que celle du parent qui maîtrise celle de Shakespeare. Et ce, dans l’intérêt du développement identitaire des enfants. Des études l’ont démontré. L’Association francophone de Surrey en est pleinement convaincue : « Nous comptons 276 membres. Plus de la moitié d’entre eux constituent des familles interculturelles. Je dirais 60% », indique France Vachon, la directrice générale.

Son but est d’attirer tous ses membres, qu’ils soient francophones ou non, aux services et aux activités que propose l’association. « Certains anglophones se sentent moins à l’aise. C’est plus une réserve qu’un désintérêt. » Depuis des années, la CNPF alerte les gouvernements sur l’importance de l’exogamie au Canada, encore plus dans le cas de familles où se parlent l’anglais et le français.

L’article 23 est, selon la commission, un droit fondamental. Inscrit dans la Charte canadienne des droits et des libertés, il garantit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité. En d’autres termes, il permet à des parents francophones dans des provinces et territoires majoritairement anglophones d’inscrire automatiquement leurs enfants dans des établissements où l’enseignement est dispensé dans leur langue d’origine.

Mais pour la CNPF, il faut encore aller plus loin. Elle réclame des moyens et des outils d’accompagnement. D’après Glen Taylor, il en va de la survie des communautés francophones à travers tout le pays. « Les familles exogames contribuent pleinement à la vitalité de la francophonie et à la dualité linguistique au Canada », conclut-il.