L’amour parental en question

Depuis le mois de septembre, l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) propose une série de conférences sur l’amour parental. À l’origine de cette initiative, Jerry Nussbaum, le président de l’association Janusz Korczak du Canada, qui porte depuis longtemps les idées du pédiatre polonais et sensibilise les parents et les professionnels d’aujourd’hui à la question : « comment aimer un enfant ? »

Janusz Korczak est un médecin-pédiatre et écrivain polonais du début du 20e siècle reconnu pour son œuvre de pédagogie et son engagement en faveur des droits de l’enfant, allant à l’encontre des réactions typiques de la société de l’époque. « À bien des égards, il avait 100 ans d’avance sur son temps dans le traitement des jeunes en tant que personnes à part entière et qui méritent notre plein respect », explique James Anglin, professeur à l’Université de Victoria et spécialiste de l’enfance et de la protection de la jeunesse.

Dans ses orphelinats, Korczak a permis aux enfants de gérer eux-mêmes les conflits au sein de la maison. « Par son travail et son influence chez les parents polonais et les jeunes, il peut être considéré comme le “parrain” de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant », selon James Anglin.

Un héritage qui pourrait servir au Canada, puisqu’en 2012, l’ONU a pointé le pays du doigt pour sa prise en charge des enfants vulnérables, laissés pour compte par un système fédéral obscur qui manquait de stratégie claire. « La Canada a fait des efforts depuis, notamment avec la création de défenseurs officiels des enfants ou de représentants pour les enfants », note James Anglin. La plupart des lois provinciales concernant les enfants ont intégré les droits des plus jeunes, et les politiques sociales incluent « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

« Le défi est de s’assurer que ces droits sont mis en place dans la réalité quotidienne. Nous avons encore un long chemin à parcourir pour atteindre la qualité des soins et le soutien dont de nombreux enfants ont besoin, en particulier ceux qui ne sont pas en mesure de vivre avec leur famille de naissance. Il faut également abroger l’article 43 du Code criminel du Canada permettant de frapper les enfants pour corriger leur comportement (comme le nouveau gouvernement libéral s’est engagé à le faire) », souligne cependant James Anglin.

Une société qui réécrit les codes

Sur un plan plus personnel, l’amour parental se décline différemment selon les cultures,même si l’expert « doute qu’il y ait un trait humain plus universel que l’amour que nous avons pour nos enfants ». Pour James Anglin, « les sociétés individualistes modernes comme la nôtre ont tendance à se concentrer sur l’amour d’un parent pour ses propres enfants, et voir cela comme un devoir sacré qui se traduit dans la honte et le blâme lorsqu’il n’est pas rempli. » Pourtant, de nombreuses autres sociétés ont une tradition plus collective, où les adultes sont considérés comme des « tantes » et « oncles », et où les responsabilités envers les enfants sont plus partagées. En Afrique, on appelle cela « ubuntu » : je suis une personne à cause d’autres personnes.

Une œuvre d’art représentant le pédiatre Janusz Korczak entouré d’enfants.

Une œuvre d’art représentant le pédiatre Janusz Korczak entouré d’enfants.

Un intervenant lors de la série de conférences de UBC sur l’amour parental.

Un intervenant lors de la série de conférences de UBC sur l’amour parental.

« Après avoir visité plus de 50 pays, je dirais que les similitudes dépassent de loin les différences. Les besoins fondamentaux des enfants sont universels, et l’amour parental dont ils ont besoin est semblable. Les enfants doivent percevoir un sentiment d’appartenance, d’estime de soi, d’identité, le sentiment d’être pris en charge et d’être aimé – et la première source de ces expériences essentielles, ce sont les parents. »

L’expression de l’amour parental au sein des foyers de la Colombie-Britannique reflète aussi cette remarque. Les différences sont moins importantes que les points communs, même dans le brassage et le métissage des cultures. « Cependant, il y a des traditions importantes et uniques selon les communautés, notamment dans les moyens de garde et l’éducation des enfants. Nous devons tous nous mettre au diapason de ces différences tout en garantissant que les droits fondamentaux et les besoins des enfants soient respectés. »

De toute évidence, la société actuelle ne correspond plus à celle d’antan, le rôle des parents se redessine. Mais pas seulement cela. Par exemple, la mobilité physique est plus facile, la mobilité professionnelle est plus fréquente, et les reconfigurations au sein des cellules familiales sont en train de devenir la nouvelle norme. « Tous ces changements mettent une pression croissante sur tout le monde, et en particulier sur les enfants en développement qui ont besoin d’une certaine stabilité pour grandir. Une grande inconnue à l’heure actuelle est de savoir comment la “culture” de l’écran affecte toutes les formes de relations, notamment familiales, et le développement psycho-affectif des jeunes. Certains théoriciens pensent que nous sommes en train de créer une forme de bombe à retardement qui peut exploser dans 10 à 20 ans ; mais il est trop tôt pour savoir ! », conclut-il.

Pour les intéressés, la dernière conférence de la série de UBC sur l’amour parental sera donnée le 6 avril par James Anglin, qui fera la synthèse des interventions.

The Janusz Korczak Lecture Series
www.jklectures.educ.ubc.ca