Ogema ou la femme à l’honneur

Affiche de l’exposition Ogema : I Am Woman. | Photo de Winsor Gallery

Affiche de l’exposition Ogema : I Am Woman. | Photo de Winsor Gallery

Déclarant « L’avenir de l’homme est la femme », Aragon avait-il connaissance du fonctionnement de nombreuses tribus indigènes d’Amérique du Nord ? À la Winsor Gallery commence le 9 mars une exposition intitulée Ogema : I am Woman qui illustre ce propos. La commissaire de l’exposition, Léa Toulouse, nous explique pourquoi elle a choisi ce titre et comment les artistes autochtones qu’elle met en scène cherchent à réaffirmer le rôle de la matriarcale dans le monde contemporain.

Le mot Ogema signifie chef. Le terme est emprunté à l’Anishinaabemowin, la langue parlée par les peuples Anishinaabe-Ojibwe.

D’aucuns pourraient penser que la femme autochtone n’aurait qu’un rôle de figurante au sein de sa communauté. Cette exposition Ogema : I am Woman nous apprend qu’il n’en est rien. Léa Toulouse affirme que « les femmes détiennent le pouvoir. Elles sont de véritables leaders, des chefs dans des communautés qui reposent sur le système matriarcal et non patriarcal ». C’est d’ailleurs en l’honneur de son arrière-grand-mère Ogemakwe, la femme du chef Shingwaukonse de la tribu des Anishinaabe, qu’elle a choisi ce titre.

Des artistes engagées

Cette exposition donne la parole à six femmes artistes indigènes qui expriment leur perception de la femme dans les communautés autochtones : Maria Hupfield, Jeneen Frei Njootli, Wendy Red Star, Tsēma Tamara Skubovius, Janice Toulouse et Olivia Whetung. Parmi elles, à l’appui de la notion de lignée matriarcale, nous rencontrons la mère de la commissaire de l’exposition, Janice Toulouse, qui vit entre Paris et Vancouver.

Janice Toulouse Shinghawk bouscule les stéréotypes et met de l’avant l’art fait par les femmes. « J’aime voir les matriarches honorées et élever le statut de la femme. »

L’un des portraits historiques qu’elle a peints, Ogema Kwe Shingwauk, représente sa grand-mère aux côtés de son mari chef. Originaire de la tribu Anishinaabe-Ojibwe, elle s’interrogeait sur le poids qu’a eu son aïeule dans la sphère politique. « Les gens doivent connaître notre histoire. » Chaque Nation a son propre système de gouvernance. Chez les Anishinbek, le fondement du système repose sur la matrilinéarité. « En matière d’engagement politique, les matriarches sont consultées quand il s’agit de prendre des décisions pour leur peuple. »

Omega Kwe Shingwauk. | Peinture par Janice Toulouse Shingwauk

Omega Kwe Shingwauk. | Peinture par Janice Toulouse Shingwauk

Janice a réalisé ce tableau en travaillant à partir de photographies d’archives. On y voit le couple proche, « pour montrer qu’ils collaboraient étroitement ensemble », lui dans la tenue cérémoniale d’un chef de guerre, avec ses insignes, et elle habillée à l’occidentale. « Sa femme à ses côtés témoigne de ce qu’ont accompli les chefs avec les matriarches. »

Comme nombre de femmes indigènes, ses aïeules sont des femmes de caractère, au pouvoir décisionnaire affirmé tant en politique que dans leur façon de vivre au quotidien. Elles jouent un rôle essentiel dans la préservation des traditions, de la langue, du patrimoine et du système de croyances. Leur rôle politique est capital dans la mise en place d’une autonomie gouvernementale.

L’artiste ajoute : « Si la colonisation et le système patriarcal à l’européenne ont diminué l’importance du rôle tenu par les femmes, il semblerait qu’aujourd’hui la tendance s’inverse. »

Une affiche bien troublante

Que fait cette femme nue, recroquevillée sur elle-même dans cet espace peu hostile ? La photo a été prise à Leslie Spit, une péninsule artificielle de Toronto située sur la rive du lac Ontario. Construit dans les années 1950, cet endroit avait pour vocation d’accueillir les déchets des sites industriels de la région et autres matériaux de dragage du port. Heureusement, la nature a depuis repris ses droits en (re)devenant un parc où la faune et la flore sont riches et d’une rare beauté.

Léa Toulouse explique : « Ce paysage exprime le contraste entre le monde industriel et le monde primitif. Bien sûr cette femme est nue et nous la voyons vulnérable. Les femmes des Premières Nations ont souffert d’oppression extrême… nous ne devons pas l’oublier. »

S’asseoir précisément à Leslie Spit insuffle cet espoir d’un avenir prospère et prometteur, un avenir où les valeurs matriarcales retrouveraient toute leur importance.

Avec cette exposition, la commissaire souhaite que les femmes indigènes continuent de louer leur rôle fondamental au sein de chacune de leur communauté en affirmant fièrement et sans crainte leurs valeurs traditionnelles. Un magnifique témoignage à voir absolument.