1er mai : pas de muguet pour les travailleurs canadiens et américains

Photo par Luc Bengono

Photo par Luc Bengono

 

Si vous venez de vous installer à Vancouver, attention, le 1er mai, allez au boulot ! Vous êtes prévenu ! Pas de muguet ! Oubliez les défilés de centaines de milliers de personnes, derrière des banderoles aux couleurs syndicales, à travers les rues de Paris, de Johannesburg, de Rio, de Moscou ou de Hanoï. Chez nous, les syndicats se font discrets au moment où, presque partout ailleurs dans le monde, leurs homologues battent le pavé pour exprimer leurs revendications et dans le but de célébrer la fête du Travail et des Travailleurs. Ici, le 1er mai n’est pas férié et chômé. Bienvenue en Amérique du Nord !

Au Canada, la province de Québec fait figure d’exception. Même si le 1er mai n’est pas un jour férié, « toutes les organisations syndicales fêtent, se souvient, nostalgique, Julie Lavallée, enseignante au Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique. On faisait une marche, [dans les rues de Montréal], les organisateurs syndicaux montaient sur une estrade, ils prononçaient des discours et faisaient valoir leurs droits. Ça me surprend qu’il n’y en ait pas ici », dit-elle.

« La journée du travail n’a pas vraiment de sens en Amérique du Nord, je trouve ça dommage », confie William Bruneau, enseignant à UBC, à la retraite. Pourquoi le Canada et les États-Unis ne célèbrent-ils pas les Travailleurs le 1er mai ? Ironie de l’histoire, c’est pourtant à Chicago, au pays de l’Oncle Sam, que tout a commencé. C’était à la fin des années 1800. L’industrie américaine tourne à plein régime, mais à quel prix ?

Des millions d’ouvriers travaillent dans des conditions qui donnent des sueurs froides. Derrière le bruit infernal des machines, ils s’échinent dix, douze, voire quatorze heures par jour, y compris le samedi. L’odeur est pestilentielle, l’hygiène inexistante, le salaire misérable. Juste suffisant pour ne pas crever. La plupart sont des femmes et des enfants, d’anciens esclaves et des immigrants.

Le face à face entre le travail et le capital est inévitable

« Les États-Unis avaient le taux de mortalité lié à l’emploi le plus élevé de tous les pays industrialisés dans le monde »1. Les ouvriers s’organisent. En 1884, les syndicats, nouvellement créés, se donnent deux ans pour imposer aux patrons la journée de travail limitée à huit heures. Le face à face entre le travail et le capital est inévitable. L’ambiance est explosive. Le 1er mai 1886 (le 1er mai, moving day, était le jour de renouvellement des contrats de travail dans l’industrie américaine), une grève générale est organisée dans tout le pays ; c’est l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres.

Dans la ville de Chicago, près de 80 000 ouvriers sont rassemblés à l’usine Mc Cormick, décidés à obtenir la journée de huit heures de travail, en vain. Au moment où la foule se disperse, des centaines de policiers surgissent et chargent. On compte un mort et plusieurs blessés. August Spies, un militant anarchiste, appelle les ouvriers à protester pacifiquement le 4 mai. La mobilisation est considérable. Une fois de plus, la police s’attaque aux ouvriers. Une bombe explose, tuant huit agents de police. Qui a lancé la bombe ? Mystère. Huit militants sont arrêtés, cinq sont condamnés à mort, parmi eux August Spies. Quatre des huit accusés sont pendus le vendredi 11 novembre 1886 (Black Friday). C’est un électrochoc dans le monde ouvrier de partout sur la planète.

Trois ans plus tard, les syndicalistes et socialistes européens, réunis à Paris « décident qu’il sera organisé une grande manifestation à date fixe, dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois », pour forcer les gouvernements à réduire légalement à huit heures la journée de travail. Le 1er mai est choisi pour honorer les « martyrs de Chicago ». L’appel est suivi dans presque tous les pays, mais il ne trouve aucun écho au Canada et aux États-Unis. Pour les syndicats américains, leur revendication était sociale et non politique.

Le capital est plus valorisé que le travail

Les ouvriers américains ne voulaient ni la victoire ni la domination du travail sur le capital, mais une amélioration de leurs conditions de travail. La journée du Travail et non des Travailleurs est donc fêtée le premier lundi de septembre au Canada et aux États-Unis. « C’est une société qui croit à la liberté individuelle absolue, surtout aux USA, explique, William Bruneau. C’est un pays d’entrepreneurs ». Il rappelle qu’en Amérique du Nord, « le capital s’est développé à un niveau sans pareil dans l’histoire du monde ». Le capital est donc plus valorisé que le travail, dit-il.

Quand on lui rappelle que les Américains travaillent autant que leurs homologues des pays développés, l’enseignant rétorque qu’« il y a la possibilité de devenir milliardaire. Le jour où on devient milliardaire, comme la famille Ford ou Bill Gates, on cesse de travailler. Alors on travaille beaucoup, c’est l’idée du Casino ».

Le professeur Bruneau précise que cette survalorisation du capital sur le travail est en train de conquérir le monde. C’est pourquoi, même dans les pays où le 1er mai est célébré, c’est devenu une journée festive. « Pour la plupart des gens, c’est d’abord un congé, il y a des pique-niques et la signification originale a disparu. Je trouve ça dommage ». Pour Julie Lavallée, « ici, les gens font plus de compromis et à la fin, ils se font toujours manger la laine sur le dos ».

 

1. American History, from Revolution to reconstruction and beyond, site Internet géré par des étudiants de l’université de Gronigen, aux Pays-Bas, sous la supervision de George M. Welling.