Fille fait ce que fille doit :  dans l’entrelacs de la feutrine

Les figures aux longs nez sont un clin d’œil à la défunte Lola MacLaughlin, amie chorégraphe de Lyse Lemieux. | Photo de Richmond Art Gallery

Les figures aux longs nez sont un clin d’œil à la défunte Lola MacLaughlin, amie chorégraphe de Lyse Lemieux. | Photo de Richmond Art Gallery

 

Après déjà six jours d’installation, la porte de la Richmond Art Gallery s’ouvre sur trois femmes acharnées au travail : l’une découpe de longues pièces de feutre à même le sol, l’autre, sur un échafaudage, colle un ovale de tissu au mur. La troisième, toute en mouvement, s’avance. Avec son rire franc, Lyse Lemieux pointe sur le mur à l’entrée un gribouillis géant. « J’ai projeté un gribouillis de façon très aléatoire l’autre jour. Puis j’ai complètement défait ce que j’avais commencé… mais ça fait partie du processus », explique l’artiste qui présente, du 23 avril au 3 juillet, une installation format géant mêlant sculpture, tissu et encre.

L’artiste vancouvéroise a obtenu carte blanche de Nan Capogna, conservatrice à la galerie d’art de Richmond et responsable de l’exposition A Girl’s Gotta Do What a Girl’s Gotta Do. « L’idée du projet, ici, était justement de créer quelque chose pour l’espace », soutient Lemieux, consciente des défis de produire une installation sur mesure. « Dès que j’ai visité pour la première fois le studio de Lyse, j’ai su que je voulais l’inviter à créer quelque chose dans toute la galerie. [..] Et utiliser tout l’espace de la galerie a pu lui donner la chance d’explorer son œuvre en format géant. [..] Je crois que les gens, familiers avec son œuvre à plus petite échelle, seront très surpris », s’exclame Nan.

Faire ce qu’on doit faire

Lyse Lemieux, sculptrice de formation et diplômée de l’Université de la Colombie-Britannique, précise que son exposition aborde la notion de trouver sa raison d’être dans la vie. « Je pense qu’inévitablement, on cherche tous ce qu’on est censé faire. Et tout le monde y arrive d’une façon différente », explique l’artiste. Ainsi, pour elle : « Ce sont le processus et les matériaux qui m’indiquent où je dois aller. [..] Je laisse l’interprétation aux autres ». L’important devient donc dans l’accomplissement de son geste.

Et dans son geste et son processus, les tissus ont toujours été présents. « Depuis dix ans, j’incorpore des vêtements et aussi des tissus à l’intérieur de mon travail. Le feutre a commencé à apparaître il y a quelques années, parce qu’en faisant beaucoup de dessins à l’encre, j’ai commencé à avoir ce désir, ce besoin de tenir la ligne dans ma main », raconte-t-elle. Le désir combiné de travailler avec le tissu et de tenir la ligne noire en particulier entre ses mains l’a donc inévitablement dirigée vers la feutrine.

Atterrir pour créer

Plus d’une dizaine d’ovales de feutrine longent le mur droit de la galerie. Immenses et penchés, parfois reposant l’un sur l’autre, ils répondent silencieusement au gribouillis géant à l’entrée. « Il faut atterrir. Il faut être dans son studio pendant un bon bout de temps avant de se plonger dans la création. C’est la même chose quand on commence à travailler en galerie », mentionne Lyse, qui se rappelle de la frénésie des premiers jours au moment de tracer le gribouillis de feutrine à l’entrée.

Dans la dernière salle de la galerie, une large colonne faite de collets et de poignets de chemises colorées détonne à la fin de l’exposition : il s’agit là d’une utilisation de tissus multiples qui rappelle la présence constante de ce matériau dans l’œuvre de Lemieux. Dans cette même salle, neuf dessins sont suspendus mais non encadrés. Des dessins en noir et gris, incluant feutrine et encre. « C’est très important de ne pas avoir de vitre devant la feutrine, car je veux que les gens aient ce contact avec la texture du tissu ».

Les visiteurs peuvent s’attendre à être emportés dans l’univers de l’art abstrait de l’artiste. Nan Capogna espère que le public sera non seulement mis au défi mais également surpris par cette exposition très solide de Lyse Lemieux où sculpture, tissu et encre s’entremêlent.

 

L’art textile contemporain prend racine au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. À partir des années 1960 et 1970, un essor dans son usage non-conventionnel prend d’assaut les expositions d’art (pensons à Françoise Grossen ou à l’artiste féministe Rozsika Parker). L’exposition de Lyse Lemieux tombe à point alors que la Vancouver Art Gallery présente Mash-up, une exposition rétrospective sur l’art contemporain qui donne sa place à des œuvres où les matériaux s’entremêlent.