Le renouveau de l’opéra

L’Opéra de Vancouver s’est lancé dans un projet d’envergure : proposer des productions qui rompent avec les grands classiques. En lieu et place des Noces de Figaro, vous pouvez désormais aller voir l’adaptation d’Evita, l’immense succès du Broadway des années 70. Un pari gagnant ? Cette semaine, les ventes de billets ont battu des records, propulsant Evita au rang de best-seller toutes catégories confondues de l’Opéra de Vancouver. La Source s’est interrogée sur ce revirement de situation.

Evita : meilleure que les autres ?

Il convient de distinguer Evita, le personnage historique, d’Evita, la comédie musicale. Dans les années 1946 à 1952, Eva Perón, surnommée Evita par son peuple, a été la très médiatisée première dame d’Argentine. Son histoire a été adaptée tout d’abord en album de musique en 1976 par le compositeur Andrew Lloyd Webber et le parolier Tim Rice. Très rapidement, en 1978, Evita est portée à la scène sur les planches londoniennes, avec pas moins de 3176 représentations et la victoire d’un prix Laurence Olivier pour la meilleure comédie musicale avec Elaine Paige en rôle principal.

L’année suivante, en 1979, l’adaptation conquiert Broadway avec un succès fulgurant, raflant le Tony Awardde la meilleure comédie musicale. Depuis ce temps, plus de 20 compagnies différentes ont réadapté cette œuvre devenue un classique, et ceux dont la culture historique ou théâtrale n’est pas au beau fixe auront certainement entendu parler d’Evita grâce au film homonyme d’Alan Parker avec Madonna dans le rôle principal.

Au vu de ce succès, il n’est pas étonnant de savoir qu’Evita va être mis en scène à Vancouver, ni même d’apprendre que les places s’écoulent à une vitesse fulgurante. En revanche, l’attention est attirée par le fait que c’est l’Opéra de Vancouver qui s’occupe de fournir sa version de cette production.

Opéra ou comédie musicale ?

La question revient souvent, et Leslie Dala, chef d’orchestre à l’Opéra de Vancouver et chef des chœurs sur Evita, nous explique dans un français parfait qu’il ne faut pas limiter la définition de l’opéra. « Il ne faut pas se fermer les yeux ni les oreilles, on vit au 21e siècle. Il faut accepter qu’il existe d’autres autres genres et d’autres styles. »

Pour lui, le processus de travail reste constant d’une production à l’autre : « C’est la même chose de travailler sur un spectacle, que ce soit une création moderne ou un grand classique de l’opéra. Il faut travailler et découvrir l’histoire, travailler en collaboration avec le metteur en scène, avec les autres artistes qui chantent et qui dansent. » Ainsi, « il faut faire immersion dans l’œuvre », et c’est avec enthousiasme qu’il nous confirme son investissement dans Evita : « C’est ça qu’on fait exactement avec Evita, même si c’est un style différent ».

Evita va être sur scène pour un total de six représentations. « Pour Madama Butterfly [la grande œuvre de Puccini], on avait six représentations également, et on n’avait pas vendu autant de billets que pour Evita à ce moment-là du calendrier. Ces chiffres montrent la réalité de l’offre et de la demande de l’opéra à Vancouver. » Ainsi, en parlant d’offre et de demande, les années précédentes, West Side Story et Sweeney Todd, œuvres portées par le même projet sous-jacent à celui d’Evita, attiraient également les foules à l’Opéra de Vancouver, prouvant le réel besoin de s’adapter aux désirs du public.

Photo par Tim Matheson

Photo par Tim Matheson

Pour tous les spectacles de l’opéra, l’équipe travaille en moyenne pendant une durée d’un mois sur les répétitions. Au moment de l’entrevue, les artistes entrent dans la quatrième et fatidique semaine, investissant le théâtre Queen Elizabeth pour la grande répétition générale avec l’orchestre au grand complet dans la fosse.

« Aucun compromis n’a été fait »

Spectacle populaire certes, mais Leslie Dala nous l’assure, « aucun compromis n’a été fait. On utilise les ressources de l’Opéra de Vancouver, tous les membres qui jouent sont des membres de notre orchestre. Dans le cas d’Evita, les chanteurs ne sont pas des chanteurs d’opéra, mais des stars de Broadway et du West End. Le niveau est très élevé. »

Aussi, pour ne citer qu’eux, nous retrouverons Caroline Bowman dans le rôle d’Eva Perón, John Cudia dans le rôle de son époux le président Perón, et Ramin Karimloo dans celui de Che – pas le Che Guevara, mais le narrateur de l’histoire.

Leslie Dala, pourtant fier de cette programmation assez atypique pour de l’opéra classique, explique cependant qu’il regrette que les grands classiques n’attirent pas autant les foules. « C’est quand même dommage que les ventes ne soient pas pareilles pour les Noces de Figaro. Il y a un grand public qui ne vient jamais à l’opéra. Cette règle n’est pas juste pour Vancouver, elle s’applique au Canada et à l’Amérique du Nord. Je crois que c’est un peu différent en Europe où la tradition de l’opéra est née et où on la cultive depuis des siècles. De ce point de vue, l’Opéra de Vancouver a déjà réussi à joindre un public qui existe en dehors de son propre public. »

Et d’ajouter : « Evita, c’est une œuvre avec une musicalité très marquée. Elle entre dans nos mémoires, et ça, c’est quelque chose de très exceptionnel et tous les compositeurs ne réussissent pas à le faire. En tant que spectacle, elle est émouvante et donne du plaisir. Donc, pour les plus conservateurs des spectateurs, je dirais qu’il n’y a aucun mal à venir pour voir ce spectacle… s’ils peuvent réussir à acheter des billets ! »

Alors, que les spectateurs soient des puristes de l’opéra prêts à ouvrir leur horizon musical, ou des mélomanes lambda pas effrayés à l’idée du mot « opéra », tous devraient passer un superbe moment devant ce spectacle-charnière d’une nouvelle ère musicale.

 

Evita
Du 30 avril au 8 mai
Queen Elizabeth Theatre
www.vancouveropera.ca