Mea culpa

Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. De même : il ne faut pas vendre la peau du sénateur avant de l’avoir jugé ou adjugé. J’espère avoir retenu ma leçon de ce simple principe. Comme la plupart des journalistes et commentateurs et même de la population en général, j’ai failli à la tâche en jetant Mike Duffy aux lions de l’arène politique canadienne. Je n’ai pas cru bon d’invoquer la présomption d’innocence dans l’affaire du sénateur. Le jugement rendu est sans équivoque. Sur toutes les charges qui pesaient contre lui, aucune n’a été retenue.

Mike Duffy n’a apparemment enfreint aucune règle. Il s’en sort donc égratigné, meurtri, déshonoré, mais libre de retourner au sénat où son siège l’attend. Le juge n’a fait qu’appliquer la loi et les règlements qui régissent le sénat. De toute évidence, je me suis, comme bien d’autres, foutu, excusez l’expression, le doigt dans l’œil. Je me suis bêtement laissé influencé par l’hystérie générale qui régnait à l’époque. Mea culpa encore une fois, mea culpa trois fois en sachant qu’une fois n’est pas coutume. Conspué, lynché sur la place publique, Mike Duffy a toujours clamé son innocence. J’avoue ne l’avoir pas cru. Je trouvais, sans faire un vilain jeu de mots, qu’il était pas mal gonflé ce sénateur. J’ignorais tout de l’étendue des privilèges accordés aux locataires de la chambre haute.

Mike Duffy, sénateur. | Photo par Ayelie, Editor at Large

Mike Duffy, sénateur. | Photo par Ayelie, Editor at Large

Ce brave sénateur (maintenant qu’il a été innocenté je peux, par contrition, le chérir ainsi) a eu sa revanche. Ceux qui ont voulu l’isoler et se désolidariser de lui, lorsque ses ennuis ont commencé, en ont pris pour leur grade. Le bureau de l’ancien premier ministre Stephen Harper ne sort pas grandi du procès qui a été intenté à Mike Duffy. Innocent sur toute la ligne a conclu le juge. Cela ne veut pas dire que la ligne est parfaite et bien droite. Bien au contraire. Le problème est autre : les sénateurs bénéficient de trop de privilèges et de passe-droits d’où la nécessité, dès lors, d’imposer de nouvelles limites. Mike Duffy n’a pas abusé de ses pouvoirs. Ce sont les pouvoirs dont bénéficient les sénateurs qui sont abusifs. Il est temps d’y remédier et de recadrer le sénat et ses occupants qui trop souvent ne sont pas assez occupés.

Ce procès, vous vous en souvenez, avait été précédé par un autre qui fit aussi la manchette et nous fascina tout autant : l’affaire Jian Ghomeshi. Là encore je m’étais projeté dans l’outrage par rapport aux accusations lancées contre l’ancien animateur de la CBC. Ma réaction immédiate avait été vive et viscérale. Mon jugement intraitable : coupable sans l’ombre d’un doute. Le procès a eu lieu et nous en connaissons le résultat : l’accusé, lui aussi, reconnu et déclaré innocent face aux lourdes charges qui pesaient contre lui. On s’y attendait un peu après avoir suivi le procès qui s’était petit à petit transformé en cirque médiatique où la défense s’évertuait à détruire sans pitié la crédibilité des victimes. Ce ne fut pas beau à voir. J’en garde un très mauvais goût.

Ce jour là, la justice, à mes yeux, n’était pas à la fête.

D’accord ou non, avec les verdicts rendus, cela ne doit pas m’empêcher de remettre en question ma tendance à porter des jugements rapides et prématurés basés sur les émotions au détriment de la raison. Encore une fois mea culpa. J’ai fait preuve de cécité. Je n’ai vu que ce que j’ai voulu croire, sans doute pour apaiser mes sentiments de dégoût. Ce qui n’excuse rien.

Aujourd’hui, j’en tire ma leçon : doute de tout. Fais attention de ne pas avaler les couleuvres qui se présentent à toi. La justice n’est pas toujours juste. Elle s’ajuste tant bien que mal. « Prends toute information avec un grain de sel » me conseillait, à mes débuts, mon tuteur qui n’hésitait pas à me tutoyer. « L’opinion publique est continuellement manipulée par les médias » tenait-il à rajouter. Il parlait en connaissance de cause. Je le savais. Le sensationnalisme, les partis-pris, les préjugés deviennent des accessoires de prédilection pour véhiculer l’information et façonner les esprits. Une dose de scepticisme s’impose. Soyons sceptiques disait Lafosse, un brillant visionnaire qui a passé sa vie à essayer de voir plus loin que son nez souvent bouché.

Inspiré, j’ai fait de même. J’ai accepté les verdicts tout en me pinçant le nez.