Se forger une identité en dehors des normes

Verbatin_Dana_P8220126.sm_Récemment, on m’a demandé d’où je venais. Après avoir donné une réponse qui me paraissait évidente, « je suis née ici, à Vancouver », j’ai reçu une riposte à laquelle je ne m’attendais pas.

« Vraiment ? Votre accent, non, votre style semble différent ! Comme si vous étiez du sud, ou peut-être européenne… est-ce que vos parents sont d’ici ? ».

Ça ne me dérange pas d’être prise pour quelqu’un d’autre. Après tout, j’ai un prénom français et comme je porte souvent du noir, cela fait de moi une européenne. Ce qui m’a le plus surprise, c’est que la question provenait de quelqu’un qui, selon mon propre jugement hâtif, n’était pas du Canada. Après lui avoir posé moi-même quelques questions, mes soupçons ont été confirmés. La personne en question était Coréenne.

M’éloignant, je n’ai pas pu m’empêcher de rire de l’étrangeté de la situation. Voilà un Coréen insistant que je ne satisfaisais pas à son archétype canadien. Moi qui suis une Canadienne de troisième génération, de race blanche, polie.

Je me suis alors mise à réfléchir : qu’est-ce qui fait un Canadien typique, de quoi a-t-il l’air ? Comment agit-il ? J’ai voyagé à travers douze pays et vécu dans deux. J’ai également observé le nationalisme intense de nos voisins et il semble qu’il n’y ait aucun moyen facile de définir les Vancouvérois en tant qu’entité démographique.

Comme j’ai grandi dans le Grand Vancouver, mon identité culturelle a été formée et transformée au fil du temps. J’étais la seule petite blanche dans une communauté d’immigrants ayant l’anglais comme langue seconde. À part le fait que j’étais la seule blonde de la classe, être minoritaire dans mon pays d’origine n’était pas une chose dont j’étais particulièrement consciente. Je m’apercevais des différences, comme la langue et l’apparence, et les acceptais telles quelles. Ce que je n’ai compris que beaucoup plus tard, c’était que j’avais adopté bon nombre des nuances caractéristiques des
« autres » cultures en raison de vivre à leurs côtés.

Je n’oublierai jamais une soirée où je partageais un repas avec un ami asiatique et sa famille dans un restaurant chinois. Lorsque la nourriture est arrivée, j’ai arrangé mes petits bols dans l’ordre requis et ramassé mes baguettes. Au cours du repas je me suis assurée d’inverser l’orientation de mes baguettes afin de me servir avec le bout propre, puis je me suis penchée pour prendre une boulette chinoise. Mes gestes avaient attiré les regards… Les gens s’exclamaient de façon amusée autour de la table. On me traduit par la suite : « Je n’ai jamais vu un caucasien si bien utiliser les baguettes ! ».

Ce qui devait n’être qu’une journée comme les autres est devenue une plaque tournante dans ma façon d’appréhender et la culture autour de moi et ma place dans cette culture. Je participais à des coutumes qui étaient devenues normales pour moi, parmi un groupe avec lequel je m’identifiais. Pourtant, et en dépit de mon maniement des baguettes, plutôt réussi, j’étais encore perçue comme faisant partie d’un « autre » groupe.

Peu de temps après l’incident des baguettes, j’ai eu une autre prise de conscience fondamentale, quant au caractère singulier du paysage culturel de Vancouver.

Quand j’étais enfant, ma famille passait ses étés dans les petites villes de l’intérieur de la Colombie-Britannique. Au début de ces vacances, je me souviens avoir été frappée par un sentiment de malaise que je ne pouvais expliquer. Ce n’est qu’une fois entrée dans le seul magasin en ville affichant des pictogrammes asiatiques sur un auvent, que je me suis rendu compte de ce qui n’allait pas. L’étrange choc culturel d’être dans une ville complètement homogène. Sans langues étrangères, sans les coutumes et la nourriture chinoise avec laquelle j’étais devenue si familière. On pourrait penser que j’aurais dû me sentir plus à l’aise dans cette ville presque exclusivement « blanche », mais le lien le plus fort que j’avais avec cette communauté était mon apparence physique.

Depuis, je suis consciente de me forger une identité en dehors des normes. Après avoir voyagé et beaucoup réfléchi, j’ai fini par comprendre que la diversité vancouvéroise est ce qui rend la ville unique. Et, bien que je n’aie toujours pas la meilleure définition du Canadien typique et que je sois toujours prise pour une étrangère, je ne voudrais rien y changer. Les gens que l’on rencontre ici, au quotidien, sont imprégnés d’une myriade de traits uniques au monde. Voilà peut-être ce qui nous définit : la ville englobe une telle diversité qu’elle encourage le genre de curiosité qui forge de nouvelles identités, en dehors des normes culturelles.