Littérature: « Entre parenthèses » : Une épopée d’est en ouest

Sébastien Pierroz était présent au Salon du livre d’Ottawa en février dernier pour présenter son premier roman : Entre parenthèses. Publié par les éditions Prise de parole, fondées en 1973 en Ontario et gagnantes de nombreux prix – parmi eux le prestigieux prix du Gouverneur général –, cet ouvrage est une fresque sociale touchante de justesse. Gros plan sur la genèse de ce livre et sur ce que ce dernier nous raconte de la culture canadienne.

Paul est un francophone vivant à Ottawa, assistant de direction et aspirant écrivain dont la routine quotidienne est bien établie. Son existence est bouleversée par sa rencontre avec Amy, une anglophone excentrique et pétillante à la santé fragile. Ce coup de foudre, bouleversant totalement le quotidien de Paul, va le convaincre de tout abandonner pour partir dans un road trip à la conquête du Pacifique.

L’écrivain Sébastien Pierroz. | Photo par Jean-Christophe Demers

L’écrivain Sébastien Pierroz. | Photo par Jean-Christophe Demers

Cette aventure éditoriale commence en janvier 2014, lorsque Sébastien Pierroz débute l’écriture de son roman. Pile un an plus tard, en janvier 2015, ce français originaire des Alpes couche sur le papier le mot final de son manuscrit. Désormais résidant à Ottawa, et se sentant comme un franco-ontarien « de conviction » malgré son passeport français, Sébastien choisit d’ancrer son histoire à Ottawa. « J’ai commencé sans trop savoir où l’histoire allait me mener », nous confie-t-il. « J’avais une idée, mais en écrivant j’étais mon premier lecteur ».

En février 2015, le manuscrit est prêt à être envoyé chez les professionnels de l’édition francophone au Canada. En mai 2015, Prise de Parole signifie à Sébastien que son roman est accepté et débute le travail d’accompagnement. Objectif ? Le Salon du livre d’Ottawa en février 2016. Pari réussi !

Photographie d’une culture : entre fresque sociale et bilinguisme

Entre parenthèses se présente comme « une critique de la société occidentale avec un environnement qui est canadien ». Que l’on ne se méprenne pas, Sébastien le dit, il est hors de question pour lui de juger le Canada à travers le regard de sa culture française. Au contraire, il approche le pays des grands espaces avec beaucoup de respect : « Ces observations [sur le Canada] germaient en moi, et il m’a fallu cinq ans au Canada pour les coucher sur papier. Je me voyais mal arriver au Canada et écrire sur un environnement canadien après seulement un an. »

Parmi les enjeux canadiens dont Sébastien a voulu parler : « le biculturalisme ». Des deux personnages, l’un est francophone, Paul, et l’autre anglophone, Amy. Si parfois les deux communautés donnent l’impression de se regarder en « chiens de faïence » à Ottawa, il était important pour le jeune écrivain de montrer un exemple de réussite de vie ensemble, d’expliquer que malgré les antagonismes apparents, ces différences culturelles ne sont finalement que résiduelles. À ce propos, certains passages de l’ouvrage sont assez poignants : « On affirmait à qui voulait l’entendre que la francophonie était “belle et vivante”. “Belle et vivante comme la religion”, ironisait Paul. Parce que telle qu’on la lui avait toujours présentée, la francophonie avait toujours ressemblé à la messe. C’était un devoir, une leçon de calcul que l’on oubliait une fois l’école terminée. Effet de surdose. » (page 207). Et à Amy de répondre à cela : « Ça me paraît important de défendre les minorités linguistiques, qu’elles soient anglophones du Québec ou francophones d’ailleurs dans le monde ».

On demande souvent à Sébastien Pierroz s’il y a une part d’autobiographie dans son livre (son personnage principal vit dans la même ville et partage son goût pour l’écriture). En y réfléchissant, il avance que l’on « s’inspire toujours de situations que l’on vit au présent, que les autres vivent. C’est du travail d’observation sur soi et sur autrui. Il y a toujours une part d’autobiographie, mais elle est mesurée. »

Courir après la vie

Le livre est divisé en trois parties et la dernière est celle d’un road trip qui amènera les personnages à Vancouver. Une ville que Sébastien connaît bien et à laquelle il tient, car c’est le premier endroit où il a résidé pendant un an en 2009 en arrivant au Canada. Deux chapitres sont ainsi consacrés à notre ville dans cette recherche de la « conquête du Pacifique ».

Les portraits sont faits avec sensibilité et minutie, que ce soit dans la description du parcours des personnages et dans leur introspection, ou encore dans l’écriture du récit initiatique. Le livre est tantôt drôle, tantôt dramatique, mais toujours touchant, jusqu’aux dernières lignes, implacables, qui mènent inlassablement vers un destin programmé d’avance. C’est l’homme face à ses pulsions de vie qui ne sont réveillées que par sa propre finitude qu’il nous est offert de découvrir dans les lignes d’Entre parenthèses.

Pour témoigner de ce style saisissant, une conversation existentielle entre Paul et Amy lorsqu’ils contemplent l’océan Pacifique, en imaginant les contrées qui se cachent derrière ce grand horizon : « Tu dois être capable d’envisager la mort d’une personne. C’est comme ça qu’on savoure la vie. À force de vouloir la repousser, de jouer les immortels, on oublie qu’on a une vie à vivre. Pas besoin de vouloir à tout prix laisser une trace, de vouloir performer », page 346.

Ce qui ne semble être qu’une folle parenthèse va bouleverser irrémédiablement le monde des personnages et celui du lecteur par ces lignes troublantes de réalisme et, parfois, de cruauté. Une parenthèse bouleversante où les silences ont plus de vigueur que les discours, comme pour bien ancrer l’éternité d’un instant de grâce, celui où tout bascule. S’il ne fallait garder que deux adjectifs pour définir cet ouvrage : intelligent et sensible.

 

Entre parenthèses, Sébastien Pierroz.

Les éditions Prise de parole, 28,95 $