De la complexité de l’identité…

Chittagong, Bangledesh | Photo par nayeem_kalam, Flickr

Chittagong, Bangledesh | Photo par nayeem_kalam, Flickr

Au cœur de Chittagong, au Bangladesh, nous étions entrés dans un marché bondé de colporteurs qui vendaient diverses marchandises. Les auvents étaient couverts de saleté, de crasse, et dans l’air flottait une odeur de poisson mort. Nous avons cheminé vers le fond du marché, où s’empilaient manteaux et vestes, dans une énorme boîte en bois. Nos parents avaient décidé de nous acheter un gros manteau bien chaud, résistant à la pluie.

Le manteau que l’on m’avait donné était trop grand pour moi et un peu trop chaud pour le doux climat de Vancouver. Mais, à l’âge de six ans – c’était en 1996 – le manteau me semblait parfait pour l’hiver à Vancouver. Je n’avais jamais vécu un climat froid auparavant. J’étais habituée à la chaleur du Bangladesh et, à mon arrivée ici, il fallait que je me fasse au froid canadien. La température n’était pas le seul élément auquel j’ai dû m’acclimater. La langue posait une autre barrière. Mon père, qui parlait l’anglais couramment, nous parlait en anglais à la maison, pour que nous puissions nous familiariser avec cette langue. J’excellais en lecture au cours primaire, et mon anglais s’est amélioré rapidement.

Cependant, ce qui me fut le plus pénible a été de me rendre compte que je n’avais désormais qu’une identité réduite, voire quelque peu simpliste: celle d’une immigrante. Ça a été, de loin, l’obstacle le plus difficile que j’ai dû surmonter à l’école – convaincre les gens, et parfois me convaincre moi-même, que j’étais bien plus qu’une personne qui mange un autre type de nourriture et qui possède un teint plus foncé. Je devais rappeler aux gens que je suis du Bangladesh et non de l’Inde et que nous parlons le bengali et non pas le hindi. Bien sûr, le Bangladesh et l’Inde ont une longue histoire commune, et partagent une culture et un héritage communs, mais, dans mon enfance, j’ai vécu une gamme d’expériences qui ne se prêtent pas au stéréotype de la « personne de couleur ». Par exemple, les enfants faisaient des blagues aux dépens du peuple indien en imitant leur accent typique. On me considérait plus dans le coup si je riais avec eux plutôt que de leur faire remarquer que je n’avais jamais parlé avec cet accent.

À l’âge de douze ans, un camarade de classe m’a ridiculisée devant tout le monde quand il a appris que la coutume bengali était de manger avec la main droite sans utiliser d’ustensiles. J’ai choisi de ne pas lui répondre, mais j’en ai été profondément affectée – c’est le moins qu’on puisse dire. L’opinion prédominante que projetaient les gens à l’école, jusqu’au-delà du secondaire, était que d’être de l’Inde ou du Bangladesh était en quelque sorte sale, dégoûtant, nul et « pas cool » du tout. Il était clair que cette perception provenait d’une aversion envers les gens d’un teint plus foncé. Ce n’est rien de nouveau ou de surprenant que de cataloguer tous les gens à l’école et non seulement les immigrants. Cette expérience d’être perçue comme une personne unidimensionnelle, faite d’une seule fibre, a influencé la façon dont je perçois les autres. Les êtres humains sont complexes et variés, et derrière la façade que présente chaque individu se cache une personne très privée avec ses luttes internes. Je crois être ouverte d’esprit aujourd’hui du fait que je voulais désespérément que les gens le soient envers moi lors de mon arrivée à Vancouver.

En grandissant et pour avoir rencontré des gens plus mûrs et tolérants qui ne me voyaient pas uniquement comme une « personne de couleur », je suis devenue plus confortable dans ma peau.

Cependant il y a encore des moments où, en me présentant, la première question posée est : « D’où êtes-vous ? ». Je suis plus que ravie de le leur dire s’ils sont curieux, mais la question est posée si fréquemment et immédiatement après les introductions, que cela me dérange quelquefois. Surtout que la même question n’aura pas été posée à une « caucasienne ». C’est en quelque sorte un rappel constant que je ne suis pas réellement du Canada, que je n’y trouve pas ma place.

Et pourtant je comprends la pulsion qui porte à poser la question, surtout à Vancouver où les minorités semblent être la majorité, et où nous sommes entourés de diversité culturelle. La ville est plus ouverte et accueillante que la plupart.

Je ne m’identifie ni comme Canadienne ni comme Bengali, bien que je sois les deux. C’est un sentiment commun parmi les immigrants qui ne peuvent s’assimiler entièrement à la nouvelle terre et qui perdent le contact avec leur terre natale. Je suis un être humain qui est curieux et qui désire découvrir et apprendre. Cela est la meilleure façon possible de me « décrire » sans classer mon identité dans des catégories facile à digérer.

Traduction de Barry Brisebois