Chinatown : la perte de l’identité chinoise ?

Photo par Teresa Cheung

Photo par Teresa Cheung

Le Chinatown de Vancouver est historiquement l’un des plus importants de l’Amérique du Nord. Des projets urbains sont en cours de développement afin d’apporter un nouveau dynamisme économique dans ce quartier, modifiant ainsi son aspect architectural d’origine et créant des activités qui s’éloignent de la culture chinoise.

Chinatown est désigné comme lieu historique national du Canada depuis 2011. L’histoire de Vancouver est relativement récente, de même que celle de Chinatown qui est né vers 1886 avec l’arrivée des premiers Chinois sur la rue Pender. Chinatown était une ville miniature dans les années 1920 grâce à la présence de toutes les infrastructures nécessaires à son autonomie (écoles, hôpital, magasins alimentaires, théâtres…). De nombreux édifices construits entre 1889 et les années 1920 rappellent ceux de la région de Canton en Chine d’où les Chinois expatriés étaient majoritairement originaires.

Le quartier a vécu des changements constants : des immeubles ont été détruits pour des raisons sanitaires et reconstruits pour mieux répondre aux besoins de la population grandissante. Des associations culturelles chinoises y ont été créées et font désormais partie du patrimoine historique de Chinatown. La plupart de ces immeubles se situent dans la rue Pender en addition aux immeubles environnants construits par des commerçants influents.

Un quartier en déclin économique et culturel

Chinatown connaît un grand déclin vers les années 1980 lorsque les migrants de Hong Kong et de Taiwan choisissent de s’installer en masse à Richmond, au sud de Vancouver. En raison des prix de logement attractifs, de sa proximité avec l’aéroport et des agencements immobiliers moins condensés, Richmond devint une ville pratiquement chinoise. Elle offre des solutions de commerce pratiques avec ses centres commerciaux construits sur les modèles hongkongais et des supermarchés proposant un large choix de produits asiatiques, affaiblissant ainsi les petits commerces de Chinatown.

Fruits secs en vente dans un commerce traditionnel chinois. | Photo par Teresa Cheung

Fruits secs en vente dans un commerce traditionnel chinois. | Photo par Teresa Cheung

D’autre part, durant ces dix dernières années, Chinatown avec sa culture cantonaise prédominante devint de plus en plus désuet avec l’arrivée massive de Chinois de la Chine continentale. Les nouveaux arrivants cherchent à s’épanouir dans leur propre culture régionale et Chinatown ne leur correspond pas. Par ailleurs, les descendants des premiers arrivants choisissent souvent de s’installer dans d’autres quartiers et ne reprennent que rarement les commerces de leurs ascendants. Seuls les rares commerces établis et reconnus comme des institutions de Chinatown survivent à ces changements.

Des efforts de reconstruction économique

Chinatown souhaite dynamiser le quartier en attirant de nouveaux entrepreneurs avec des baux de commerce attractifs. En conséquence, les nouvelles activités commerciales sont très diversifiées, allant de cafés tendance à des galeries d’art en passant par l’installation de magasins de grandes chaînes.

La Ville de Vancouver a établi des plans de conservation en tentant de protéger certains édifices en les désignant comme « Heritage Buildings » et en subventionnant des projets de restauration. Certains bâtiments ont été restaurés tout en conservant les bases d’origine, pour ensuite être exploités comme des locaux de bureaux ou de commerces occidentaux. Ces transformations attirent une population plus jeune au pouvoir d’achat plutôt élevé, qui recherche des lieux authentiques, mais avec une touche moderne.

Monsieur C., propriétaire d’un magasin de produits de mer séchés, trouve que le quartier « est de moins en moins chinois », avec une pointe de regret et un sourire fataliste. Les nouveaux plans pour dynamiser le quartier ont aussi pour objectif d’atténuer la réputation qu’a Chinatown de quartier non sécurisé et fréquenté par des sans-abri consommateurs de drogue.

Les nouveaux projets d’urbanisme

Pour M. L., les nouveaux projets portés par la Ville sont destinés à satisfaire les « géants privés de l’immobilier » qui profitent de l’autorisation de construction d’immeubles à neuf étages pour la majorité des nouveaux édifices et jusqu’à quinze étages pour les immeubles situés dans les rues les plus peuplées. Cette autorisation a pour but d’accroître la densité de la population et de rentabiliser l’espace urbain. Malgré les efforts d’entretien des édifices historiques et de l’esprit ancien de Chinatown, les nouvelles infrastructures se construisent au détriment des détails qui rendent Chinatown unique et auxquels les anciens Chinois se sont attachés. Par exemple, un nouvel immeuble en cours de construction, entre les rues Gore et Pender, cachera bientôt la grande peinture de Lao Tseu restaurée suite à des actes de vandalisme.

M. H., un habitant du quartier depuis plus de 50 ans, pense que « le changement est nécessaire pour garantir l’avenir de Chinatown », mais regrette que le mur de peinture ou les autres détails qui marquent le quartier disparaissent petit à petit.

Les commerçants et les habitants de Chinatown reconnaissent la nécessité des changements urbains par la construction de nouveaux immeubles, mais n’osent pas exprimer ouvertement leur mécontentement face à la disparition graduelle des indices du passé.

 

Un groupe de discussion sur l’avenir de Chinatown, organisé par l’association Heritage Vancouver Society, aura lieu le mercredi 5 octobre prochain de 19 h à 21 h (pour plus d’informations, visitez le site Internet www.heritagevancouver.org).