« Ghostland » : un regard aborigène sur le monde moderne

Le 1er octobre, les Ju/Hoansi vont s’adresser aux Canadiens. Pendant des millénaires, ce peuple autochtone a sillonné les savanes du Kalahari, dans le sud de l’Afrique, à l’abri des radiations de la civilisation occidentale. Aujourd’hui, avec le film Ghostland, ils posent un regard sévère sur notre monde moderne dans lequel ils ont été brusquement largués. Ce film documentaire sera diffusé au Canada, en avant-première, au Vancouver International Film Festival (VIFF) qui ouvrira ses portes du 29 septembre au14 octobre pour sa 35e édition.

La première scène du film est assourdissante et révélatrice. Dans un décor ensoleillé, bucolique, en pleine savane africaine, un énorme avion de ligne survole à basse altitude la terre des Ju/Hoansi. Les enfants, comme les adultes, sont à la fois étourdis, curieux, amusés, fascinés et apeurés. Le ton est donné. Ce mélange émotionnel traverse ce long métrage qui fait voyager le spectateur à travers deux cultures diamétralement opposées. « La première fois que nous avons vu un Blanc, se souvient N’ani, un membre de la tribu, nous avons cru que c’était un fantôme. Et nous nous sommes enfuis ».

Pendant la guerre d’indépendance de la Namibie, les colons blancs Sud-Africains et Anglais sont allés à la rencontre des Ju/Hoansi pour les forcer à débusquer dans la savane les rebelles africains noirs qui luttaient pour leur liberté. Ce peuple aborigène pacifique, brutalement mis au contact de la civilisation occidentale, s’est retrouvé impliqué, contre son gré, dans un conflit dont il ne comprenait ni les enjeux ni la complexité. À la suite de la victoire des indépendantistes africains, en 1989, le gouvernement du nouvel État de la Namibie, rancunier, a interdit aux Ju/Hoansi la chasse du gibier sur leurs propres terres millénaires.

Pour survivre, ils n’ont désormais d’autre choix que de danser devant des touristes, flirtant ainsi avec la civilisation occidentale. Le réalisateur et anthropologue allemand, Simon Stadler, « longue barbe », comme l’appellent les indigènes, va aller plus loin. Il décide d’embarquer une poignée de Ju/Hoansi dans le monde ultramoderne, d’abord en Namibie, ensuite en Allemagne et en Italie. Ghostland est le film de cette excursion philosophique.

De la fascination…

« Hum… les boissons gazeuses sont géniales ! C’est très sucré ! », confie un des indigènes après avoir lutté pour ouvrir une canette de soda. Sa congénère met six sachets de sucre dans une tasse de café : « mais ce n’est pas assez sucré », regrette-t-elle. Dans la salle de bain d’un hôtel en Namibie, leur réaction est hilarante : « faites attention à vos yeux les filles, ils risquent d’être abîmés par le miroir ». Ils barbotent dans la piscine comme des gamins.

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Les Ju/Hoansi critiquent la culture moderne occidentale, toujours avec le sourire.

« C’est génial de voyager en voiture. C’est rapide et tu peux découvrir beaucoup d’endroits différents », soulignent-ils, nostalgiques du passé nomade de leurs ancêtres. Cette immersion brutale dans la modernité a son lot de surprises désagréables. Après avoir appliqué du savon sur son visage, un autre membre de la tribu se frotte vigoureusement les yeux : « ça me brûle ». Quand, quelques mois plus tard, fait inédit, quatre
« bushmen » arrivent à l’aéroport de Francfort, ils tombent des nues : « Cet endroit est si beau, s’exclament-ils. C’est un autre monde ».

… à la répulsion : une société malade

Très vite, la fascination cède le pas à l’incompréhension. « Ils sont trop nombreux. Les gens ne se connaissent pas. Ils vivent entre eux comme s’ils étaient des étrangers. » Quand, ils croisent un sans-abri dormant sur les trottoirs de Francfort, ils sont loin d’être indifférents : « Aborde-le, peut-être qu’il est malade ». Les Ju/Hoansi expriment à chaud, toujours dans la bonne humeur, leurs sentiments sur le monde occidental ; une critique acerbe qui affecte toutes les cultures occidentalisées. « Quelle idée [saugrenue] les gens ont-ils eue de construire des maisons pareilles », disent-ils, par exemple, devant les gratte-ciel.

« On dirait que parfois les hommes blancs sont fous. Ils travaillent trop, on dirait qu’ils ne se reposent jamais. Ils n’arrêtent pas de fabriquer des choses. Je suis surpris à quel point ils sont rapides. Aujourd’hui, ils ont une idée dans la tête, demain ils en ont une autre ; ils veulent tout avoir. Il me semble que cette société est vraiment malade », dit Chau, un jeune aborigène qui fait partie du voyage. Quelques jours après cette incursion culturelle, déjà, il a la nostalgie des grands espaces naturels du Kalahari.

« Je veux rentrer dans ma savane »

Après avoir assisté à un concert et à un match à la télévision, Chau souligne d’un trait rouge vif les tares des grandes mégalopoles. « Les Allemands sont trop grands et trop bruyants. Dans notre culture, il est bon d’être posé et silencieux. Vos villes ne me conviennent pas. C’était une bonne idée de visiter ce pays, mais je ne veux pas rester ici, dans ces endroits surpeuplés et bruyants. J’appartiens à la savane, un espace ouvert où je peux marcher librement ».

De toute manière, Xoan, qui avec son mari fait partie de l’aventure, découvre qu’elle est enceinte. Elle ne veut pas accoucher dans ce monde étrange ; toute la délégation rentre au Kalahari. Après son retour dans le Kalahari, Chau a pourtant installé l’électricité dans sa hutte, grâce à un générateur électrique. Sa femme en a horreur, elle trouve que c’est trop bruyant…

Vancouver International Film Festival

1. Créé en 1982, il est géré par le Greater Vancouver International Film Festival Society, un organisme à but non lucratif.
2. Lieu : Plusieurs endroits en ville
3. 140 000 personnes ont assisté au festival l’année dernière.
4. « Nous espérons faire attirer plus de monde cette année », Helen Yagi, membre du comité d’organisation.
5. Environ 324 films seront diffusés au cours de cette 35e édition.