La pluie

À l’heure qu’il est, je ne suis pas encore en possession des résultats de la présidentielle américaine. Je ne peux donc les commenter. Je me contenterai, à la place, de vous parler de la pluie et du beau temps, surtout de la pluie, un sujet bien inférieur, mais non moins préoccupant.

Feu Gilbert Bécaud, le fameux chanteur français qui fit les beaux jours de la fin du millénaire et du siècle dernier, a créé et chanté la célèbre chanson « Le jour où la pluie viendra ». De toute évidence Monsieur 100 000 volts n’a jamais eu l’occasion de mettre les pieds en Colombie-Britannique, à Vancouver en particulier, où jamais nous ne nous posons la question de savoir quand la pluie viendra. L’hypothèse qu’elle ne vienne pas n’existe pas. La pluie est une certitude. Elle fait partie de l’ADN de la région. Sans elle pas de Côte Ouest. C’est un méfait accompli. Depuis plus de quarante ans j’y fais face. Comme je ne suis pas né de la dernière pluie, je sais très bien que je n’y échapperai pas. La pluie sera toujours là au rendez-vous, que je le veuille ou non. Elle n’a que faire de ma réticence. Après avoir pris congé, généralement durant les trois mois d’été, elle nous revient, ennemie fidèle, chaque automne.Elle s’installe tranquillement comme si elle était chez elle. Elle pose ses pénates sans nous demander notre avis. Pendant plus de six mois au moins, elle ne nous lâche plus. Impossible de s’en débarrasser. Une invitée indésirable qui fait semblant de ne pas comprendre qu’elle est de trop.

La pluie dans l’ADN de Vancouver. | Image de Peggy212CreativeLenz

La pluie dans l’ADN de Vancouver. | Image de Peggy212CreativeLenz

Si les légumes de mon potager l’apprécient, je ne peux pas en dire autant. Sa présence me pèse. Je ne suis pas le seul à penser de même, croyez-moi, sinon les vols pour la Californie et le Mexique ne seraient pas remplis à capacité à partir du mois d’octobre jusqu’au mois d’avril. Vous devez penser : « Mais qu’est-ce qu’il attend, celui-là, pour s’embarquer dans le premier avion, direction Acapulco, L.A. ou je ne sais où ? » Je comprends votre agacement et je saisis votre sarcasme : « S’il veut du soleil, qu’il aille vivre dans le sud, celui-là ». Vous avez entièrement raison et je compatis avec l’impatience que vous éprouvez à mon égard. Laissez-moi tout de même vous répondre. Voilà, Vancouver me tient en captivité. Je suis prisonnier de cette cité et condamné à y vivre à perpétuité. Une lourde chaîne m’y retient. C’est mon boulet. Je suis attaché à la ville et ceci contre mon gré. Bien que pluie et grisaille me terrassent, je ne peux fuir sans éprouver un sentiment de culpabilité et d’abandon en rompant, même provisoirement, avec ce lieu qui s’est toujours montré généreux envers moi et ma petite famille. Alors je reste, tout en pestant.

Avec les années et l’accumulation de saisons pluvieuses, ma neurasthénie va croissant. Impossible d’y mettre un frein. Je frise la grosse déprime. Ce qui n’est pas vrai pour tout le monde, je l’admets.

Ce n’est certainement pas le cas, par exemple, de ma voisine de palier, une dame charmante d’une pâleur à rendre jaloux le fantôme qui hante ma cabine au Canada. En été elle hiberne. Elle n’a jamais besoin d’écran solaire ni de quoi que ce soit. La pluie lui convient. La mélancolie qui l’accompagne lui va à ravir. Elle aime rêver sous le petit coin de parapluie que lui offre gentiment Georges Brassens. Je l’envie. J’admire son indulgence envers ce fléau qui m’oblige à rester enfermé chez moi. Elle préfère les gouttes de pluie aux rayons du soleil. Elle aime chanter « Il pleut, il pleut bergère » plutôt que « O sole mio ». Lorsque je me plains, elle me rabroue et me traite de rabat-joie. Elle n’hésite pas à me faire la leçon « Sans pluie il y aurait la sécheresse. Et la canicule, vous pensez que c’est mieux ? » Comment lui en vouloir ? Au fond je sais qu’elle a raison, mais j’aimerais tant qu’elle comprenne ma peine et qu’elle partage ma souffrance.

Ce serait trop lui demander. La misère a besoin de compagnie. Ma voisine n’est pas prête à me l’offrir. Sans vergogne, elle en fait l’apologie et, à mon grand désarroi, glorifie cet instrument de torture infligé par les cieux. Face à elle, je reste sans défense. Il ne me reste qu’à implorer les dieux pour qu’ils soient cléments et surtout qu’ils aient pitié de moi.

Tiens, ils m’ont entendu. Aujourd’hui, surprise, il fait beau. Je peux donc enfin chanter « Le jour où la pluie viendra », conscient que ma satisfaction sera de courte durée.