Les écrivaines libanaises au-delà des frontières linguistiques

Michelle Hartman, professeure associée en littérature arabe : le plurilinguisme pour s’exprimer. | Photo de Michelle Hartman

Et si la tour de Babel avait offert une richesse des langages plutôt que la confusion des langues. Et si le mélange des langues au sein d’un même texte apportait une meilleure compréhension.

Dans le cadre du programme des conférences annuelles proposées par le département d’Études comparatives des sociétés et des cultures musulmanes de l’université Simon Fraser, les femmes écrivaines libanaises seront mises à l’honneur lors d’une conférence gratuite. Le 9 mars, sur le campus SFU de Vancouver, Michelle Hartman y présentera ses recherches en linguistique.

Professeure associée en littérature arabe à l’Institut des études arabes à l’université McGill à Montréal, Michelle Hartman questionne, à travers son ouvrage Native Tongue, Stranger Talk : The Arabic and French Literary Landscapes of Lebanon, comment un roman français peut parler arabe. Elle y retrace près de 100 ans de littérature féminine au Liban, pays où elle a vécu et où parler trois langues n’est pas rare.

La complexité du langage

La poète libanaise Nadia Tuéni déclarait que sa poésie en langue française pouvait capturer la musicalité et le rythme de la langue arabe. Le français, déclaré langue officielle au même titre que l’arabe par la constitution de 1926, a perdu ce titre, mais demeure seconde dans la pratique au Liban. Tout n’est pas littéralement traduisible. L’utilisation de l’arabe dans des textes en français le prouve. Michelle souligne : « La traduction c’est aussi transférer une culture, une politique, des idées beaucoup plus grandes ». Observant ce phénomène plus fréquemment chez les écrivaines que chez les écrivains, Michelle a exploré les textes des femmes libanaises depuis 1920, (l’État libanais est créé sous le nom de Grand Liban par la France), à aujourd’hui. Elle y a constaté de nombreuses techniques linguistiques, comme l’association des deux langues, la traduction littérale de certaines expressions, l’utilisation de mots dans des contextes explicites, sans traduction, comme si celle-ci en entravait le sens. Une sorte de politique de la linguistique.

Ces associations de langage semblent pour ces femmes libanaises évoquer des choses qu’elles n’auraient pas pu exprimer avec une seule langue. Si chaque langue peut être traduite, cette traduction ne peut se faire sans pont ni point de « déchirure » linguistique d’après Michelle. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la traduction. Voir où se dessinent les frontières, prendre le temps de se questionner sur les concepts. Michelle se passionne pour ces limites lui permettant de pousser plus loin la réflexion sur le sens des mots selon le contexte.

Des maux aux mots

Ce n’est probablement pas anodin si les femmes libanaises utilisent davantage ces techniques linguistiques, ou politique de traduction, que les hommes. Le français, langue de la colonisation apprise à l’école, est mieux maîtrisé que l’arabe par certaines, dû au contexte historique du Liban. Elles ne l’écrivent pas dans un souci pro ou anticolonialisme, qui peut les mettre mal à l’aise. L’introduction de l’arabe dans les textes en français leur permet de s’affirmer et d’explorer le champ poétique et politique de la linguistique. Les techniques d’écriture utilisées, liées au mélange, permettent notamment, comme l’a observé Michelle, « la revendication d’être arabe, une femme arabe. L’identité linguistique est toujours liée à l’identité de sexe ».

Si depuis 1920, le genre littéraire, les techniques et les messages diffèrent quelque peu, cela reste un moyen de faire passer des idées et d’interroger des thèmes différemment de ce qui est usuel. Michelle a suivi le travail de ces écrivaines, car les sujets qui remontent à la surface à travers leurs écrits sont souvent plus révélateurs. « Il y a des liens avec des sujets comme le statut de la femme au Liban, une critique du patriarcat, la religion. Ces livres des années 70-80 peuvent être perçus comme féministes, militants, probablement à cause du contexte de guerre civile, ou des mouvements d’émancipation de la femme », interprète Michelle. Chaque époque a ses tendances.

Ce travail de recherche en milieu plurilinguistique trouve écho au Canada. Bien que le contexte historique et social diffère, des liens sont visibles. Michelle Hartman, qui interviendra au lendemain de la Journée de la femme, considère qu’écrire « est déjà une manière de s’affirmer et d’être plus libre ».

Information :

Conférence le 9 mars,
19 h à 21 h

SFU Vancouver Campus,
500, rue Granville

Entrée gratuite

www.sfu.ca/ccsmsc.html