Le doux choc canadien

Un après-midi d’été dans un bus de Vancouver, ma mère me regarde avec des yeux ronds : « Une dame dans les transports m’a demandé comment s’était passée ma journée… qu’est-ce que tu crois qu’elle, me voulait ? » demande-t-elle un peu gênée. « Rien » je lui réponds. « À part savoir comment s’est passée ta journée, j’imagine… »

Je n’ai pu que compatir avec sa réaction. Je me suis moi-même souvenue de mon premier contact avec la bonne humeur vancouvéroise. Une journée en tout point surréaliste : voilà que dès le matin une caissière m’avait demandé comment j’allais, qu’une serveuse me confiait qu’elle aimait bien mon bracelet, et qu’un inconnu dans les transports s’était mis à me demander comment s’était passée ma journée.

Moi aussi, à ce moment je m’étais demandé quelle mouche les avait tous piqués. Moi aussi j’avais reçu le choc culturel, à grand coup de massue sur la tête.

D’un autre côté, il est vrai que ce sont des scénarios assez peu habituels lorsque l’on a vécu toute sa vie en région parisienne. Je me souviens du quotidien parisien : prendre le métro, bus ou RER quotidien, sourire dans les chaussettes, jouer des épaules pour se faufiler dans la masse, rigide, esquiver soigneusement les regards lubriques, ne pas parler aux autres, ne pas regarder dans les yeux, éviter les contacts, tout simplement.

Vancouver était différent, moins sur ses gardes, donc impossible de se cacher et plus besoin de se murer derrière un masque de sévérité !

Ce qui m’avait le plus frappée à mon arrivée à Vancouver, ce n’était pas l’anglais, le quadrillage des rues, les cliniques de cannabis, les cheveux verts, l’aspect du fromage ou la longueur des cafés, non ! Ce qui m’avait le plus frappée c’était la sympathie spontanée de la plupart des gens.

À Vancouver, les gens disent « bonjour ! » et demandent « comment ça va ? ». Alors oui, il se trouve que ce « hello how are you today ? » ne vient pas forcément d’une passion soudaine de tous les serveurs de la ville pour les moindres détails de nos vies, j’en conviens.

Difficile de répondre : « non pas vraiment ça ne va pas, assieds-toi ici qu’on en parle ! », même si amusant à imaginer.

À Vancouver, les gens disent « bonjour ! ». | Photo par Mat Simpson

Certaines formules sont aussi des conventions de langage, mais elles participent tout de même d’une ambiance générale positive. La forme sert le fond.

Car ne nous y trompons pas, les gens sont courtois mais aussi détendus, confiants et joviaux, autrement dit, ils ont l’air heureux. Ils s’extasient de votre tenue du jour, du beau temps, de la splendeur de la nature. Il n’est pas rare de voir des inconnus s’entraider, entamer une discussion dans le train avec un inconnu, dire « merci » au chauffeur de bus…

De la science-fiction pour un habitant de Paris !

Le regard que les gens se portent également est différent, moins scrutateur, moins critique. Le regard que posent les hommes sur les femmes, le regard que posent les femmes sur d’autres femmes… ce qui expliquerait pourquoi les mini shorts, les mèches vertes, les tatouages et les tongs à chaussettes sont de sortie ! Ici, le regard n’emprisonne pas, il ouvre des possibilités.

Alors après plus d’un an passé à Vancouver, je me trouve plus détendue. Je me surprends à sourire plus souvent aux étrangers et à tenir des discussions avec des inconnus sans me être sur la défensive. La forme a servi le fond.

Mais ne tombons pas dans l’utopie non plus. L’intégration est un processus d’évolution, pas une cure de désintoxication, et oui je dois dire que mes yeux continueront toujours de piquer à la vue des porteurs de sandales/chaussettes !