Les origines du bouillon de culture vancouvérois

Si le Canada est connu pour être une nation d’émigrants, Vancouver en est peut-être la représentation ultime. Avec 45 % de sa population née à l’étranger selon le recensement de 2011, la « Ville Verte » occupe le rang de la quatrième métropole la plus cosmopolite au monde derrière Dubaï, Bruxelles et Toronto. L’arrivée successive de vagues d’immigrants a modifié durablement la réalité culturelle de la cité.

Le processus d’assimilation peut être long et douloureux ; le parcours de chaque communauté vers la reconnaissance des leurs, parsemé d’embûches. Qu’il s’agisse des revendications actuelles des Premières Nations, de la lutte de la communauté de Chinatown pour acquérir le droit de vote en 1947 ou de celle liée à la récupération des biens japonais confisqués pendant la Seconde Guerre mondiale, les exemples historiques ne manquent pas. Ces doléances montrent la volonté des communautés de s’insérer dans le tissu urbain. Chacune pose sa pierre à l’édifice et façonne ainsi le visage pluriel de Vancouver.

Au cours des prochains mois, La Source reviendra sur chacune des cinq principales cultures qui forment le caractère actuel de la Cité de Verre : autochtone, japonaise, chinoise, italienne et indienne.

Maurice Guibord, historien et président de l’Association historique francophone de
Colombie-Britannique, revient sur le rôle qu’elles ont joué dans le développement culturel de la ville.

L’historien Maurice Guibord. | Photo par Alice Dubot

La Source : Quelles sont les origines de la diversité culturelle à Vancouver ?

Maurice Guibord : Les premières installations autochtones remontent à plus de 7000 ans. Avec l’arrivée des colons britanniques en 1808 et la ruée vers l’or des années 1850, des dizaines de milliers d’hommes issus de tout le continent américain, de Chine et d’Europe migrent dans la région. Le besoin en main-d’œuvre lié à la construction du premier chemin de fer transcontinental conduit à l’arrivée de 15 000 travailleurs chinois. Peu après, les premiers Japonais et Indiens s’installent, employés principalement dans les scieries. Au début du XXe siècle, les Italiens commercent déjà dans Main Street. On assiste donc à une superposition de cultures, qui se distinguent au travers des quartiers : Chinatown, Richmond, North Van, Japantown, Little
Italy, ou encore Surrey.

Avec l’arrivée successive de vagues de migrations, comment les identités culturelles réussissent-
elles à survivre et s’exprimer ?

Les médias jouent un rôle important. Chaque communauté possède son propre journal, sa station radiophonique et ses programmes télévisuels. Les traditions, par le biais de la nourriture et de la musique, sont également mises à l’honneur. Ces célébrations participent à minimiser le terme « étranger », à s’approprier les valeurs de l’Autre, à assurer une participation qui vient de soi. La culture du sushi fait partie du quotidien vancouvérois, d’une routine établie. Tout comme le festival d’été de Chinatown et le Night Market de Richmond sont devenus partie intégrante des activités estivales de Vancouver. L’intégration de la diversité est bien réussie à ce niveau-là.

La disparition progressive des tabous réduit les frontières entre les cultures. Les mariages entre couples mixtes deviennent coutumiers. Les règles très strictes des rituels funéraires, qui s’étendent à trois ans chez les Chinois, sont vécues pour beaucoup d’entre eux comme des bouleversements profonds. Les immigrants issus de troisième ou quatrième génération ne veulent plus les imposer à leurs enfants. Les traditions peuvent de cette façon disparaître.

Quels sont les moyens déployés par chacune de ces communautés pour défendre ses spécificités culturelles au sein de l’espace public ?

Capables de participer à l’élaboration des lois au niveau fédéral et provincial, les communautés demeurent actives auprès des instances politiques de la ville. Le lobbying communautaire s’est fait de manière tout à fait naturelle. Tous les hommes et femmes politiques en sont bien conscients : il faut se baser sur ces groupes pour obtenir un mandat.

Les commissions scolaires commencent à faire du remue-ménage pour la reconnaissance de leurs valeurs. Au risque de rentrer en conflit avec les Canadiens établis. Mais ainsi se développe le Canada.

PS : Cet article a été publié pour la première fois dans les colonnes de La Source le 10 septembre 2013.