A bas les masques

La semaine dernière nous avons fêté l’Halloween et, comme le veut la coutume, la question du costume que je devrais porter s’est posée. Comment me déguiser pour l’occasion ? Quel costume revêtir ? Les possibilités étaient énormes, sans fin. La liste de personnages historiques, de caractères fictifs, de personnalités politiques, d’animaux, d’objets, de symboles, s’avérait illimitée. En fait je n’avais que l’embarras du choix.

J’ai donc fait un inventaire des candidats potentiels sur lesquels je jetterais finalement mon dévolu. J’ai procédé par élimination.

Tout d’abord, j’ai songé à Tarzan, le héro de mon enfance. Ce personnage d’Edgar Rice Burroughs m’a toujours fasciné. J’ai pratiquement vu tous les films interprétés par Johnny Weissmuller, l’acteur par excellence qui a longtemps incarné ce personnage légendaire. Je m’étais donc dit que dans l’actuelle jungle où nous vivons un Tarzan serait le bienvenu. J’ai pris une peau de léopard qui traînait par-là sur ma moquette et je m’en suis accoutré. J’ai demandé à mon miroir ce qu’il en pensait. Admirant le peu de muscles que j’avais et mon embonpoint qui prédominait, il en a conclu, le cœur brisé, que je ne serai jamais Tarzan. Après avoir séché quelques larmes d’alligator, bien qu’atterré, je me suis vite remis de cette idée farfelue. Il m’incombait de songer à une autre panoplie.

Alors que j’admirais les feuilles mortes qui jonchaient le trottoir devant chez moi, feuilles que je ne pouvais ramasser à la pelle, j’en pris une, songeant qu’elle pourrait me servir de feuille de vigne, avec l’intention de me déguiser en Adam, le personnage biblique dont je ne sens pas le besoin de livrer le pédigree. Pour compléter le tableau, une Ève s’imposait. Mais, sans doute à cause des révélations récentes mettant à jour la profusion d’horribles actes perpétrés par d’affreux prédateurs sexuels, personne ne s’est porté bénévole pour jouer ce rôle ingrat à mes côtés. D’Adam j’ai donc dû faire mon deuil.

Pourquoi pas un personnage politique, me suis-je alors demandé non sans un brin de curiosité mêlé à un sentiment d’inquiétude ? L’interprétation qu’en feront les autres, mes invités, sur ce choix me préoccupait, car, je les connais, à huis clos, ils doivent sans doute se dire que l’enfer c’est les hôtes. En fait, j’avais en tête de me déguiser en abri fiscal logeant un ministre des finances à l’éthique douteuse avec possibilité de conflits d’intérêt. Trouvant ma trouvaille géniale je me suis mis à célébrer. Erreur funeste, depuis les récentes révélations concernant Bill Morneau, nul n’est pro fête en mon pays. Ne possédant en moi aucune once de méchanceté, si ce n’est un certain goût pour l’insolence et l’impertinence que je n’hésite pas à mettre en évidence sous forme d’un cynisme flegmatique, j’ai vite saisi que cet habit me gênait aux entournures, qu’il ne pouvait me seoir. Je l’ai donc abandonné sans hésiter et sans éprouver de regret. Je respire mieux depuis, ce déguisement n’était pas taillé à ma mesure.

« Si tu veux faire peur au monde habille-toi en Trump » m’avait gentiment suggéré ma cousine germaine qui, elle, avait décidé de se vêtir en Angela Merkel. Je ne l’ai pas écoutée. L’horreur a ses limites. Mon intention pour l’Halloween n’est pas de traumatiser les braves gens mais plutôt de les amuser. À cet effet j’avais songé vêtir une longue robe et porter le niqab avec l’intention, pour l’occasion, de me rendre au Québec avec l’espoir d’y être accueilli à bras ouverts. Cette idée m’a été fortement déconseillée par quelques amis laïques qui me veulent du bien. « On ne plaisante pas avec ces choses là » m’ont-ils assuré. Hors de question donc, j’en ai conclu, de porter de même un masque de Benjamin Netanyahou avec les menottes aux poignets. La caricature, tout comme le ridicule, aussi a ses limites.

« Si tu veux faire peur au monde habille-toi en Trump » m’avait gentiment suggéré ma cousine germaine… Je ne l’ai pas écoutée. L’horreur a ses limites.

Finalement, ne craignant pas de me mettre dans de mauvais draps, je me suis déguisé en fantôme. Rien de plus facile, rien de plus simple. Je me suis couvert d’un beau drap blanc bien lavé et soigneusement repassé. Ainsi vêtu je me suis baladé parmi les invités en leur laissant le soin de deviner le personnage que j’incarnais. Pris de frayeur ils ont cru reconnaître Stephen Harper ou Christy Clark, des revenants qu’on aimerait ne pas voir revenir. En agissant de la sorte je dois admettre que j’avais réussi mon coup : affoler mon auditoire tout en ayant recours à une mauvaise plaisanterie. Personne ne m’en a voulu.

Et aujourd’hui, une semaine plus tard, j’ai repris mes habits de ville. Ceux qui me permettent de me fondre dans la masse. À défaut d’être Tarzan je me contente depuis de faire le singe.