L’équilibre fragile de la santé mentale

Dans le cadre de ses conférences, la Bibliothèque publique de Vancouver reçoit ce mois-ci l’avocate internationale Tina Minkowitz. Spécialisée dans les droits de l’homme, elle a participé à l’élaboration de la Convention relative aux droits des personnes handicapées pour l’ONU (CDPH). Membre du conseil d’administration de l’association CHRUSP (Center for the Human Rights of Users and Survivors of Psychiatry), elle se définit elle-même comme une « survivante » de la psychiatrie.

Le 13 décembre 2006, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la CDPH, convention qui sera ratifiée par le Canada le 11 mars 2010. Ses 50 articles redéfinissent les droits des personnes handicapées que les États parties doivent veiller à faire respecter. Selon Tina Minkowitz, les pratiques psychiatriques vont à l’encontre de certains points de cette convention.

Tina Minkowitz, avocate internationale spécialisée dans les droits de l’homme. | Photo de Center for the Human Rights of Users and Survivors of Psychiatry

L’article 14 sur la liberté stipule notamment que « les États parties veillent à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté », tandis que l’article 25 sur la santé exige « des professionnels de santé qu’ils obtiennent le consentement libre et éclairé des personnes handicapées concernées ». Quelques-unes de ces recommandations achoppent en effet à certaines spécificités du champ de la santé mentale.

La contrainte

Dans 10 à 15% des cas, les services de psychiatrie ont recours à la contrainte pour hospitaliser et traiter des patients. La contrainte en psychiatrie est un problème à la fois éthique et clinique en ce qu’il met en balance deux positions également problématiques : aller contre la volonté du patient ou le laisser sans soins quand celui-ci refuse le traitement. Le déni est en effet un mécanisme inhérent à certaines pathologies mentales.

Dans leur article sur La contrainte en psychiatrie, paru dans La Revue médicale suisse, les docteurs Yasser Khazaal, Charles Bonsack et François Borgeat rappellent que « la contrainte tend à être considérée comme une nécessité, légalement autorisée, face à un patient ayant perdu sa capacité de discernement, refusant les soins et mettant en danger sa personne ou autrui ». Dans ce contexte, « la société attribue au médecin, et en particulier au psychiatre, une responsabilité importante, tout en l’accusant parfois alternativement d’abus de pouvoir ou de laxisme ». Selon les auteurs de l’article, il faut intégrer dans la réflexion trois dimensions de la contrainte : le statut légal, la contrainte exercée et la contrainte ressentie.

Comment traiter au mieux les victimes de troubles psychologiques ?

« Les mesures coercitives sont parfois considérées comme la première phase d’un traitement qui, dans un second temps, sera mieux accepté par un patient soulagé de ses symptômes et reconnaissant, ce que Alan Stone a appelé The Thank You Theory. À l’opposé, certains considèrent ces traitements comme un facteur compromettant la confiance des patients en leurs soignants et leur adhésion ultérieure à un traitement ».

Accompagner les patients dans leurs droits

Marie-Noël Campbell, avocate et gestionnaire de programmes à l’association de Colombie-Britannique Access Pro Bono, rappelle que le statut légal de l’hospitalisation sous contrainte et sa durée sont encadrés par la loi canadienne de santé mentale de 1996. De plus, « en Colombie-Britannique, dès qu’un patient est hospitalisé sous contrainte, il est considéré comme ayant donné son consentement à tout traitement, ce qui n’est pas le cas en Ontario par exemple », explique-t-elle.

L’association offre l’accompagnement des patients dans leurs démarches par des professionnels du droit, en anglais ou en français. Le fait qu’ils puissent être représentés et surtout écoutés par des avocats, rejoint ce que préconisent les médecins suisses dans leur article : « Ces développements juridiques pourraient contribuer à réduire la contrainte perçue par les patients et à améliorer le partenariat entre patient et médecin en anticipant notamment les périodes de perte de discernement ».

Néanmoins, c’est un questionnement sain qu’offre la santé mentale, permettant de faire évoluer lois et pratiques. Selon les auteurs suisses, « il est possible que les modifications récentes de la loi conduisent les magistrats à se prononcer plus souvent sur des conflits entre un texte de loi bâti sur un principe éthique de respect de l’individu et une pratique médicale fondée sur les principes éthiques de protection de la vie ».

Tina Minkowitz, auteur de The Impact of International Law on Mental Health Legislation, sera présente le jeudi 22 mars 2018 de 19 h à 20 h 30 à la Bibliothèque centrale de Vancouver.