Échanger pour éradiquer le racisme ordinaire

Abeal et Youeal Abera.

Louée pour sa diversité et fière de sa mosaïque culturelle locale, la région de Vancouver pratique un vivre-ensemble qui relève parfois plus d’un « vivons côte à côte, en s’ignorant et en se jugeant ». Le groupe de débat Philosopher’s Café de l’Université Simon Fraser interpelle avec une séance le 18 octobre au titre évocateur, Arrêtez d’appeler la police quand vous me voyez !, et soulève la question de la cohabitation avec des personnes d’origines différentes, en évitant les préjugés et les malentendus.

L’idée est venue à la modératrice du débat Sukhmani Gill à l’occasion de l’affaire du Starbucks de Philadelphie en avril dernier. Deux hommes noirs avaient été refoulés par la police sous prétexte qu’ils s’étaient installés à une table sans consommer pendant quelques minutes. « Cette histoire montre que la présence de personnes de couleur dans l’espace public est souvent vue comme suspecte et menaçante », affirme Sukhmani Gill.

Le racisme ordinaire

Le quotidien d’une personne de couleur est ponctué de remarques et de comportements en apparence innocents qui sont autant de micro-agressions. Youeal Abea, militant anti-raciste de 23 ans et Éthiopien-Canadien, se souvient de son école secondaire : « Certains garçons blancs de ma classe adoraient mettre des stylos dans ma coupe afro à mon insu. Des inconnus me demandent aussi de toucher mes cheveux. En tant que Noir, tu comprends que pour eux tu es une créature exotique qu’ils peuvent caresser et dont ils peuvent se moquer à leur guise ».

Les exemples abondent aussi pour Sukhmani Gill : « Lorsque je suis dans un magasin avec ma mère, il arrive qu’un employé nous parle lentement en articulant de façon ridicule parce qu’ils pensent qu’on parle mal l’anglais. Or c’est notre langue maternelle… Nous sommes traitées comme des étrangères dans notre ville ! », s’insurge-t-elle.

Youeal Abera a vu son combat contre le racisme prendre une tournure dramatique en juin dernier : « Mon frère Abeal est venu en aide à un homme se faisant agresser au centre-ville de Vancouver. Il s’est fait poignarder et son intervention lui a coûté la vie. Il avait 26 ans et est mort pour avoir été un bon samaritain ». Le jeune homme déplore que l’affaire ait suscité aussi peu d’écho médiatique. « Des rumeurs circulent selon lesquelles mon frère était mêlé au trafic de drogues, qui ne sont basées sur aucun fait sinon des préjugés. Si mon frère avait été blanc, je pense que le traitement de son meurtre aurait été plus compatissant pour lui et sa famille ».

Le dialogue contre les préjugés

Les deux intervenants assurent que les préjugés font partie de la nature humaine et sont inévitables, mais qu’il n’y a pas lieu de désespérer. « Grâce au débat, nous souhaitons réunir des gens qui se croisent sans se parler. Nous ouvrons la discussion et la parole se libère vite », croit Sukhmani Gill.

Pour Youeal Abera, « mieux vivre ensemble commence par l’éducation de tout un chacun sur la réalité de la vie des personnes de couleur ». Croire que le racisme aurait disparu en 2008 parce que les États-Unis ont élu un homme noir comme président serait illusoire. L’écoute et le dialogue sont ici primordiaux. Enfin, il faut accepter selon lui que les personnes ne se réduisent pas à leur couleur de peau ou leur pays d’origine mais sont plurielles. Le dialogue permettrait de défaire la simplicité des préjugés.

Néanmoins, l’échange suppose que son interlocuteur accepte d’écouter. Comment donc atteindre les plus retranchés dans leurs opinions, qui ne sont pas susceptibles d’aller à un débat sur les préjugés ? « À chaque personne qui s’interroge sur ses propres préjugés et privilèges, et qui en parlera autour de soi, nous ferons du progrès pour mieux vivre ensemble », espère Youeal Abera.

Le débat du Philosopher’s Café se tiendra le 18 octobre à 17 h 30 au campus de Surrey de SFU. Entrée gratuite