La grande déprime

La politique commence à sérieusement m’ennuyer. La lassitude, qui petit à petit me gagne depuis quelque temps, a finalement et regrettablement eu raison de moi. Je n’en peux plus. Je désespère. J’abandonne. Je baisse les bras pour les remonter aussitôt, un drapeau blanc à la main. Je me rends. Je demande, ou plutôt, j’exige, que par pitié, on m’épargne toutes ces lamentables histoires politico-abracadabrantes qui quotidiennement finissent par me lessiver et gâcher ma vie.

Je m’explique. Il ne se passe pas une journée sans que j’ouvre mon journal pour découvrir en première page la présence d’une nouvelle qui me hérisse. La dernière qui a fait déborder la vase et crée de la gadoue de partout remonte au 7 février. Je parle de l’affaire SNC-Lavalin. Je fus saisi par la manchette sans appel du Globe and Mail: (traduction libre et non autorisée) « Le bureau du premier ministre a fait pression auprès de la ministre de la Justice pour abandonner les poursuites contre la société SNC-Lavalin ».

SNC-Lavalin – le sujet du jour. | Photo du Twitter Trends 2019

Ma première réaction évidemment fut de crier au scandale. Devant cette allégation d’ingérence du gouvernement fédéral dans ce dossier, impossible d’être impassible. Il y a de quoi s’offusquer. L’intervention du bureau du premier ministre ne peut être justifiée à moins que… oui… à moins que… l’on prenne en considération la portée financière et les conséquences désastreuses que pourraient avoir des poursuites judiciaires contre l’un des plus puissants groupes d’ingénierie et de construction au monde dont le siège social, ne l’oublions pas, se trouve à Montréal et qui emploie à peu près 50 000 personnes en général dont 3 000 au Québec et 5 600 dans le reste du Canada. Est-ce que cela justifie l’intervention du Bureau du premier ministre auprès de la ministre de la Justice de l’époque, Madame Jody Wilson-Raybould ? Est-ce que faire pression auprès de cette dernière, pour arriver à un « accord de réparation » avec SNC-Lavalin, s’avère totalement déplacé ?

Ces questions tombent mal car elles viennent à la suite de cette affaire toujours pas réglée de l’arrestation de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou. Le gouvernement canadien en bisbille avec le gouvernement chinois maintient, pour justifier son action, sa position de non interférence de son gouvernement dans notre système judiciaire. Or le dossier SNC-Lavalin risque de nous prouver le contraire. Deux poids, deux mesures.

Depuis, il est bon de le souligner, nous avons appris il y a une semaine de cela que Jody Wilson-Raybould a démissionné de sa fonction de ministre des Anciens combattants où elle avait atterri suite au remaniement ministériel qui l’avait rétrogradée de son poste de ministre de la Justice suite sans doute à son refus d’intervenir dans l’affaire SNC-Lavalin. Comme vous le voyez il y a de la suite dans les idées. De quoi vous donner le vertige.

Le commissaire à l’éthique a depuis ouvert une enquête sur un potentiel trafic d’influence afin d’essayer d’y voir clair dans cette affaire opaque comme un œuf. Dans quelle galère s’est-il engagé ? Essayer de comprendre et d’élucider les dessous de ce dossier équivaut à récupérer une perle égarée au milieu des ordures de la décharge municipale.

Il ne faut pas se leurrer : pensez-vous vraiment que les Chinois, les Russes, les Américains ou les Européens se préoccupent de ces questions d’éthique lorsqu’il s’agit d’obtenir de gros contrats avec des pays où la malversation et la corruption règnent en maître (et je ne parle pas ici uniquement de pays d’Afrique ou d’Asie mineure) ? Par ailleurs, ce n’est pas pour rien que Trudeau a choisi David Lametti, un Québécois, pour remplacer Jody Wilson Raybould à la Justice. Le député de LaSalle-Émard-Verdun ne serait pas contre un « accord de réparation » pour donner du lest et sauver SNC-Lavalin, un joyau de sa province. Les libéraux ont besoin du Québec pour se faire réélire en octobre prochain. Petit à petit tout s’explique. Cynique, moi ? Allons, voyons.

En attendant nous devrions cesser de faire la fine bouche. Après tout, nous vivons dans un système capitaliste où tous les coups sont permis. N’est-ce pas ? Dommage que ce soit Jody Wilson-Raybould qui fasse les frais de cet énorme cafouillage. Quant aux partis de l’opposition ? Hypocrites et malhonnêtes conviendrait. Nous ne sommes vraiment pas gâtés.

À partir d’aujourd’hui, pour je ne sais combien de temps encore, je prends la résolution, en ouvrant mon journal chaque matin, d’aller directement à la page des sports, puis à celle des arts pour terminer par celle des bandes dessinées. Je ne veux plus rien savoir de toutes ces politicailleries, de toutes ces histoires à dormir debout ou à se coucher assis. Trop éreintant, trop déprimant.