Bébert s’en va-t-en guerre

Je m’appelle Robert, Bébert pour les amis. Tout comme la plupart d’entre vous, je suis en guerre contre le coronavirus. À la demande de mon gouvernement, très tôt je me suis engagé dans l’armée de ceux qui ne veulent pas se laisser abattre par la COVID-19. Combattant, résistant de la première heure, j’ai immédiatement adhéré au plan de bataille avancé par nos dirigeants qui, ils finiront un jour par l’admettre, face à l’arrivée du virus ont été pris, j’ose le dire sans grande méchanceté, les culottes à terre et la face découverte.

Mais l’heure, devant l’urgence du moment et face au tourment qui nous accable, n’est pas au blâme ni à la récrimination. L’heure est à la lutte. Lutte contre un ennemi qui n’a qu’un objectif : nous exterminer. Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre afin d’empêcher cet oiseau de malheur de poursuivre son envol
dévastateur.

Je ne suis qu’un simple trouffion, un fantassin sans fantasme qui n’a d’autre ambition que de se mettre au service de la nation avec pour objectif de vaincre
le coronavirus une bonne fois pour toutes.

Alors, chers citoyens, chères citoyennes de toute appartenance, en vérité je vous le dis, nous sortirons forcément vainqueurs de cette épreuve à laquelle nous faisons face malheureusement depuis plusieurs mois déjà. Nous viendrons à bout de ce redoutable ennemi car l’alternative ne peut être envisageable. Le mot « défaite » n’a pas sa place dans notre vocabulaire, il est frappé d’anathème. Le combat que nous avons entrepris et que nous comptons poursuivre jusqu’au bout nous mènera un jour, cela ne fait aucun doute dans mon esprit, à la victoire finale. Celle-ci nous attend les bras ouverts et le cœur serré, avide de nous donner l’accolade tant chérie et ô combien méritée. Partons à l’assaut sans peur et sans reproche après avoir formé nos bataillons pour qu’un virus impur abreuve nos sillons.

Si après cette envolée vous n’êtes pas convaincu d’emboîter le pas, rien n’y fera. Ce discours exaltant, composé au cours d’un de mes nombreux délires dont un confinement prolongé serait à l’origine, devrait remonter le moral des troupes. Nous sommes en guerre après tout. Une guerre sans merci. Une guerre ingrate. Un peu d’encouragement ne devrait faire de mal à personne. Je ne veux surtout pas prétendre m’imposer en tant que chef de file d’un mouvement destiné à faire du surplace. Loin de là. Je laisse ce privilège à d’autres personnes bien plus compétentes que moi, moi qui ne possède, à mon grand regret, aucun charisme. Je ne suis qu’un simple trouffion, un fantassin sans fantasme qui n’a d’autre ambition que de se mettre au service de la nation avec pour objectif de vaincre le coronavirus une bonne fois pour toutes. Cette affliction dont nous sommes actuellement frappés ne doit en aucune façon nous empêcher de rêver à des jours meilleurs.

En vue de cette longue et périlleuse campagne, le nouveau ministère de l’exaltation, créé pour remplacer celui de la propagande, m’a confié, certes à contrecœur car mes compétences en la matière ont souvent été mises en doute, la tâche de requinquer les âmes en détresse durant cette terrible épreuve par laquelle nous passons. Ma mission, m’a-t-on confié, serait de courte durée. Aucun émolument ne me sera versé. L’État compte simplement sur ma légendaire générosité. Les temps sont durs, ai-je pu comprendre. Je ne serai récompensé qu’à la fin du conflit par quelques bises ou bisous dont, distanciation sociale prévalant, je suis actuellement privé.

Chose certaine : nous savons d’avance, grâce à la découverte d’un vaccin, prévu d’ici 18 mois, que nous écraserons ce vicieux virus. Nous sommes donc engagés dans une course contre la montre, me disait un des coureurs du Tour de France qui cette année ne prendra pas le départ. Mais en attendant la relative fin prochaine du fléau, l’ultime question qui se pose est celle-ci : quelles sont les armes et les moyens dont nous disposons pour entraver, enrayer ou minimiser l’impact du COVID-19 tout en évitant d’obtenir une victoire à la Pyrrhus ?

S’armer de patience, tout en gardant la tête froide pour éviter toute montée de fièvre semble être la meilleure réponse à ce dilemme. Autres recommandations : continuer de se laver les mains paraît toujours aussi judicieux à condition de ne pas imiter Ponce Pilate, sinon vous courez le risque qu’on vous passe un savon. Résister à la tentation du rapprochement social devrait, cela me semble évident, nous rapprocher du dénouement final. Et, surtout, imposer aux récalcitrants l’écoute quotidienne de la conférence de presse du Dr. Bonnie Henry, notre agente de santé provinciale, dont la voix douce face au micro et le comportement humble devant les caméras ont le don de calmer les esprits.

Avertissement tout de même avant d’en finir : toute collaboration avec l’ennemi sous forme de je-m’en-foutisme envers la vie d’autrui sera sévèrement réprimandée à la libération.

Sur ce, j’ai hâte de déposer les armes. Vivement que cette guerre finisse. J’aimerais parler d’autre chose que du coronavirus.