L’heure est à l’égalité radicale

Depuis mon arrivée du Brésil en décembre 2019, mon expérience de la ville, à ce jour, est principalement liée aux emplois au salaire minimum et au service à la clientèle. Loin de mes amis, mes rencontres se résument à des employeurs, des gestionnaires, des dirigeants, des collègues et d’autres travailleurs essentiels.

Au bout du compte, une leçon a été apprise : après avoir travaillé pendant dix ans dans des universités et des écoles d’art, je considère désormais cette vie comme une sorte de bulle utopique dysfonctionnelle au milieu d’un monde qui est sur le point de transformer les gens en acheteurs et payeurs, et non pas en penseurs. Notre crise éthique peut être aussi effrayante que la pandémie de la COVID.

La semaine dernière, de retour dans un pub, un ami a dit : que penses-tu de cette ville jusqu’à présent ?

Lorsque nous, les immigrants, arrivons au Canada, après des mois ou peut-être des années de processus bureaucratiques et émotionnels, nous avons tendance à croire aux slogans : la politesse canadienne, le respect de la diversité, très peu de violence, l’engagement politique, la vie lente, l’égalité. Je ne peux plus.

Je lui ai répondu : Oui, la Colombie-Britannique est plus sûre que la plupart des communautés que je connais. Les gens sont polis (en quelque sorte). La diversité est respectée (dans la plupart des cas et pour certaines intersectionnalités, du moins). Les gens essaient de s’engager politiquement (principalement en ligne, mais cela compte aussi). Il y a un sentiment de la vie lente (qui ressemble plus à un style de vie qu’à une pratique politique, mais quand même). Il y a une certaine égalité (pas de race, ni de sexe, ni de salaire, mais les gens sont polis donc ils essaient à coup sûr). Mais nous sommes toujours tellement coloniaux.

Mon ami était confus. Il croyait que Vancouver avait atteint une norme politique, sociale et culturelle qui la distinguait des autres. Il n’arrêtait pas de demander : « Que veux-tu dire ? ».

Eh bien, ai-je dit, prenons les applaudissements pour la COVID par exemple. Les gens semblaient vraiment fiers d’applaudir de leurs balcons, confiants de faire des efforts pour maintenir le mojo des travailleurs de la santé. Mais pourquoi n’applaudir que les équipes médicales ? – mon ami a été choqué.

N’avons-nous vraiment pas remarqué que pendant que les gens louaient les médecins (une blouse blanche aide à établir le respect comme une priorité), d’autres travailleurs essentiels étaient mis en danger afin que les couples puissent acheter des croquettes gourmandes riches en protéines, des latte à la vanille française et de l’alcool (parce que cela prend beaucoup d’alcool pour ne pas craquer) ?

Il y a un autre côté de chaque histoire – et ce que j’ai vécu et entendu est un scénario bouleversant : la ville la plus polie du monde a très mal traité les gens essentiels.

Des enfants gâtés et maussades, je crois que c’est le terme que j’ai utilisé à répétition. Au lieu d’égalité, de la négligence. Je lui ai demandé : sommes-nous devenus si aveugles que nous pensons vraiment que c’est ça, une communauté polie ? Polie pour qui ? Il s’étrangla.

Partout, il y a des structures de pouvoir abusives qui représentent la façon dont notre monde est raconté et vécu, et c’est une belle ville – mais une ville coloniale-capitaliste. Belle et sécuritaire, pour certains, diversifiée dans des bulles. Pourtant, la même version colonisée de la répartition des terres, des revenus et des droits la rend aussi similaire à n’importe quelle autre ville. Mon peu d’enthousiasme a percuté sa tendance à être satisfait.

Croire à des monuments représentant une vision hétéro-patriarcale, coloniale et néo-nationaliste du monde n’est tout simplement plus acceptable (ou faisable). Plus tard, je me suis souvenu d’une citation du philosophe et psychanalyste français Félix Guattari : Respirer est devenu aussi difficile que conspirer.

Si, en tant que société représentant véritablement la diversité nous brûlons les ponts qui divisent nos privilèges, peut-être commencerons-nous à créer de nouveaux modes de vie politiques. Si notre respect de la diversité
et notre projet de tolérance résident toujours dans l’acceptation de communautés sous-payées uniquement pour avoir la main-d’oeuvre pour ouvrir des magasins, nous ne ferons rien de différent de toute autre ville qui raconte l’histoire blanche, riche, hétérosexuelle et anti-démocratique depuis la nuit des temps. C’est une invitation à l’égalité radicale.

La décolonisation est devenue plus que jamais nécessaire dans un monde qui est toujours au bord de l’effondrement. Nous ne nous réveillerons pas tous pour une nouvelle révolution éthique en même temps. Qui donc est déjà réveillé ? Mon ami ne l’était pas – lui qui vit à Vancouver.

Traduction par Barry Brisebois