Si j’avais su…

Nous voilà de retour. Déjà! ai-je envie de dire. « Que le temps passe vite! » ne cessait de répéter mon père qui avait pris en horreur durant son existence l’excès de vitesse dont sa vie était capable. À mon tour de reprendre cette rengaine et de m’en désoler tout comme lui. J’imagine qu’il faut atteindre un certain âge pour penser ainsi. Dans ma jeunesse et même durant mon adolescence je trouvais le temps long. J’avais hâte de grandir, de passer à l’âge supérieur, de devenir adulte, d’atteindre la maturité. Mon impatience au fil des ans allait en grandissant. Ma frustration de même. J’en avais assez de piétiner dans ces débuts d’années où je devais obéir à tout le monde. Mon enfance me désolait. « Si j’avais su, j’aurais pas venu » s’exprimait le gamin Tigibus dans le film culte français La guerre des boutons d’Yves Robert. Cette amusante boutade à l’époque m’avait interpellé. Elle m’allait comme un gant. Elle me touchait droit au cœur. J’étais Tigibus.

« Si j’avais su, j’aurais pas venu » s’exprimait le gamin Tigibus dans le film culte français La guerre des boutons d’Yves Robert. J’étais Tigibus. | Photo par Jan Jacobsen

Je vous dis tout cela en confidence. Je reconnais que l’histoire de ma vie ne représente aucun intérêt pour un grand nombre d’entre vous et, surtout, elle n’a pas sa place dans une chronique qui a tendance à manquer de sérieux. Ce n’est donc pas gentil de ma part de vous mettre ainsi à contribution et de vous faire partager mes peines alors que les vôtres, je veux bien le croire, vous donnent tout autant, sinon plus, de soucis. Je n’insisterai donc pas. De toute évidence le coronavirus m’a rendu sentimental, fragile même, à mon insu. Ces six semaines d’absence (ou de vacances si vous préférez) du journal m’ont ramolli l’esprit. Il m’en faut peu pour perdre les pédales et me noyer, dans une mare à sanglots, faute de bouée de sauvetage, car je ne sais pas nager dans ces eaux-là. Tout va trop vite, comme je le disais et à mesure que le temps passe, je passe mon temps à chercher des passe-temps tant la peur de l’ennui, accompagné de ses ennuis, m’effraie. Je n’ai pas le temps de voir venir ce qui m’attend. La vie me passe sous les yeux à une allure vertigineuse. Je ne sais plus où donner de la tête. Que m’arrive-t-il? Ah, si j’avais su. Oui, si j’avais su, qu’aurais-je fait?

Pour commencer je me serais mieux préparé. J’aurais par exemple demandé à l’ingénieux Elon Musk, propriétaire de la compagnie Space X, de me réserver une petite place à bord de sa capsule Dragon pour tenir compagnie à Bob Behnken et Doug Hurley. Contrairement aux deux astronautes, qui depuis sont revenus sur terre, j’aurais fait la demande de séjourner sur la station spatiale, perchée tout là-haut, au ciel, jusqu’à la fin de la pandémie. Aujourd’hui je pense à Bob et à Doug : partis en mai, les voilà maintenant revenus. Deux mois sont vite passés. C’est vrai, le temps file. COVID 19, pendant ce temps, continue de se faufiler insidieusement à toute allure de par le monde.

Toujours dans le contexte du ‘’si j’avais su’’, j’aurais demandé à Justin Trudeau de faire preuve d’un peu plus de discernement. Son jugement, maintes fois éprouvé depuis sa prise en charge du gouvernement, lui a encore fait faux bond. L’affaire (certains disent le scandale) WE auquel lui et sa famille ainsi que son ministre des finances Bill Morneau sont mêlés, démontre jusqu’à quel point ces gens-là pèchent par excès d’insouciance quand il est question de problème d’éthique. Justin, à WE, aurait dû dire non. L’affaire traîne. Je suis certain que le premier ministre, contrairement à moi, doit trouver le temps long.

Des ‘si j’avais su’’ j’en ai en veux-tu, en voilà. Comme le temps presse et qu’il m’en reste peu, puisque tout va très vite, je vous en livre quelques-uns à la va-vite.

Si j’avais su que le port du masque allait devenir obligatoire dans les transports publics, je ne me serais pas prononcé contre le port du voile intégral comme c’est le cas au Québec.

Si j’avais su que Poutine et ses chercheurs russes allaient sortir un vaccin contre le coronavirus, je n’aurais pas avalé la quantité de Lysol recommandée par Donald Trump.

Si j’avais su le peu d’importance que l’on accorde à la course à la chefferie du Parti conservateur du Canada, j’aurais présenté ma candidature afin de tester ma popularité auprès de l’électorat canadien.

Si J’avais su que Joe Biden allait choisir Kamala Harris pour l’accompagner dans sa course à la Maison Blanche, j’aurais pris soin d’avertir Mélania Trump de faire ses valises et d’entamer sa procédure de divorce contre Donald dès le 4 novembre.

Enfin, remarquant l’état actuel des choses, j’aurais moi aussi envie de dire : « Si j’avais su, j’aurais pas venu».