Shamsia Hassani, première femme afghane à se lancer dans le graffiti

Exposée depuis peu dans la salle 108 de la galerie permanente du Musée d’Anthropologie de Vancouver (MOA), et toujours active sur les réseaux sociaux pour partager ses œuvres, Shamsia Hassani réveille les murs de Kaboul et apporte de la couleur et de la poésie à notre quotidien terni par la pandémie.

Née en 1988 en Iran, de parents afghans ayant fui la guerre, Shamsia Hassani est la première femme « artiste de rue » d’Afghanistan. Son art a gagné en notoriété ces dernières années, grâce à sa présence en ligne et ses œuvres colorées, de plus en plus nombreuses, redonnant vie à des murs en ruines et dont les thèmes ont trouvé résonance dans le cœur des Afghans. La future artiste a environ seize ans quand ses parents décident de revenir en Afghanistan, afin que la jeune Shamsia puisse étudier à la prestigieuse université de Kaboul, leur statut en Iran ne permettant pas à leur fille d’entrer dans une université locale. Soucieuse de faire partager sa passion pour les arts et son savoir aux futures générations, mais aussi de développer et renouveler l’art afghan, Shamsia Hassani enseigna à la faculté des beaux-arts dans cette même université avant de fonder l’organisation Berang Arts avec d’autres jeunes artistes afghans en 2009, dans le but de développer l’art contemporain en Afghanistan.

Photo de Shamsia Hassani et the Museum of Anthropology at UBC

Bombes aérosol

C’est en 2010 que la jeune Shamsia Hassani rencontre Chu, un « artiste de rue » britannique, lors d’un atelier organisé par le collectif d’artistes Combat Communications à Kaboul pour sensibiliser les jeunes artistes afghans au graffiti et à l’art urbain ou Street Art. De cette rencontre, au milieu de pochoirs et de bombes aérosol, naît l’intérêt de Shamsia Hassani pour cette forme d’expression artistique unique et peu commune dans cette région du monde. Elle crée alors son style, poétique, mélangeant sa maîtrise de la calligraphie Dari (Persan afghan), où les mots deviennent des images en soi, et des figures de femmes mélancoliques, dont seuls deux yeux fermés ornent le visage. Ces femmes voilées racontent l’Afghanistan autrement. L’héroïne de ces peintures murales est « une femme aux yeux fermés et sans bouche, avec un instrument de musique déformé qui lui donne le pouvoir et la confiance de parler et de jouer sa voix avec force. Ses yeux fermés croient qu’il n’y a rien de bon à voir, elle veut tout ignorer, se sentir moins triste. Mes œuvres sont plus axées sur les individus et les questions sociales, mais parfois elles deviennent politiques », explique l’artiste sur son compte Facebook. Et son langage artistique est universel : « J’ai l’impression que mes œuvres sont des alphabets visuels qui communiquent avec les gens à travers les alphabets visuels de leurs esprits.

Shamsia Hassani, What about the Dead Fish?, 2011. | Photo de Shamsia Hassani et the Museum of Anthropology at UBC

Graffiti des rêves

Pourtant, la tâche n’est pas aisée. Pour partager son art sur les murs de Kaboul, Shamsia Hassani se retrouve parfois dans des situations périlleuses. Même si le graffiti n’est pas illégal en Afghanistan, peindre dans la rue en tant que femme musulmane peut la mettre en danger. « Il n’est pas rare pour elle de se faire harceler verbalement, ou certaines personnes essaient de l’empêcher de créer. Elle doit terminer son travail rapidement, généralement dans les quinze minutes environ, et certaines œuvres ne sont pas achevées », explique Fuyubi
Nakamura, conservatrice de la section Asie du MOA, en charge de l’exposition. L’insécurité liée à son environnement, et à l’exposition qu’implique l’art urbain, a aussi influencé les techniques de Shamsia Hassani et l’a poussée à trouver de nouveaux supports pour sa création.

La conservatrice ajoute que lorsqu’elle ne peut pas travailler dans la rue pour sa sécurité, elle crée ce qu’elle appelle des graffitis des rêves, en peignant sur des clichés photographiques de sa ville ou d’autres endroits connus en Afghanistan. Elle insère ses graffitis sur les surfaces architecturales des photographies des espaces publics. Sa série de « graffitis des rêves » nous invite à imaginer la transformation des espaces publics ainsi que les conflits sociaux qui empêchent leur réalisation, ajoute-t-elle.

En sortant l’art des musées désertés de Kaboul, et en se réappropriant un espace souvent dénié aux femmes, Shamsia Hassani est devenue incontournable dans son domaine, une influence majeure pour les artistes afghans d’aujourd’hui, créant une nouvelle génération d’artistes, armée de pochoirs et de pinceaux pour faire revivre l’art afghan.

Pour plus d’information visitez le : www.moa.ubc.ca

Photo de Shamsia Hassani et the Museum of Anthropology at UBC