Immigration économique sélective : un remède contre la pauvreté ?

Ottawa amorce, au seuil de la nouvelle année, un plan d’immigration sélectif, dicté, en grande partie par des raisons économiques. Citoyenneté et Immigration Canada s’active à inverser la tendance en matière d’immigration d’ici la fin de 2014. L’objectif visé : accroître le flux migratoire à plus de 63%, avec en ligne de mire, les travailleurs qualifiés, une catégorie de plus en plus courtisée.

Ce plan ambitieux est motivé par une nécessité de réduire les problèmes d’intégration auxquels les immigrants déjà installés au pays sont confrontés. Le constat général démontre que les nouveaux arrivants s’exposent davantage à la pauvreté que les personnes nées au Canada. D’autres chiffres encore plus alarmants : le taux moyen de chômage au Canada est de 7.2%, alors qu’il affecte plus de 13% des immigrants selon les statistiques publiées en février 2013 par AMSSA, un organisme communautaire provincial qui chapeaute l’ensemble des structures multiculturelles qui viennent en aide aux immigrants à travers toute la Colombie-Britannique.

Implication de La Boussole chez les immigrants francophones

Tanniar Leba, le directeur général de La Boussole, un organisme communautaire francophone d’aide à Vancouver, explique que l’enjeu incontournable est celui de trouver un emploi pour faciliter l’insertion des immigrants. A son avis, ce problème est récurrent pour les nouveaux arrivants: la barrière de la langue, les qualifications qui ne sont pas toujours adéquates, et des différences culturelles, particulièrement pour ceux en provenance des pays d’émigration récente comme l’Inde, le Pakistan, ou les Philippines. « On a beaucoup de travailleurs sociaux qui doivent repasser des diplômes. Ces personnes étaient des professionnels dans leur pays d’origine mais ne le sont pas ici. »

Et le responsable de La Boussole admet que tous les immigrants ne subissent pas tous le même sort: « on parle d’immigrants en général mais il y a beaucoup d’hétérogénéité entre immigrants. » Selon les données récentes, les nouveaux arrivants en provenance des pays dits « traditionnels », les pays développés, jouissent du même niveau que les Canadiens. Dans le but de mieux faciliter l’insertion des francophones, cinq conseillers travaillent à La Boussole à temps complet. Leur mission: atténuer ces différences et assister les immigrants de langue française dans leurs démarches.

Des organismes communautaires comme La Boussole sont nombreux en Colombie-Britannique, une province où le taux de pauvreté est le plus élevé au Canada. « Elles sont débordées ! » s’exclame M. Leba. Pour faire face à ce défi croissant d’insertion des nouveaux arrivants, La Boussole s’est dotée en 2013 d’une antenne à Surrey, une ville où le nombre d’immigrants augmente à vue d’œil grâce à des loyers plus abordables qu’à Vancouver.

Tanniar Leba, directeur général du Centre communautaire La Boussole. | Photo par Anne-Laurence Godefroy

Tanniar Leba, directeur général du Centre communautaire La Boussole. | Photo par Anne-Laurence Godefroy

Un modèle importé d’Australie et de Nouvelle-Zélande

Malgré le coût que représente l’intégration des immigrants, Ottawa réitère encore les bienfaits de l’immigration. « Les résidents permanents qui choisissent le Canada chaque année contribuent à accroître le tissu social du Canada, participent à la croissance du marché du travail et renforcent l’économie. » Pour 2014, le gouvernement fédéral s’est donné pour ambition d’accepter au total entre 240 000 et 265 000 de résidents permanents au Canada.

Citoyenneté et Immigration Canada compte, cette fois-ci, aller plus loin et envisage de se diriger vers une immigration encore plus sélective. Un nouveau système de candidature sera dès 2015 progressivement mis en place : la Déclaration d’intérêt.

Un système déjà implanté en Australie et en Nouvelle-Zélande qui exige que les candidats à l’immigration s’inscrivent sur une base de données que les employeurs et le gouvernement consultent. Ils invitent ensuite le candidat de leur choix à immigrer au Canada. Chris Alexander, le ministre responsable de l’Immigration, se félicite déjà de cette initiative: « Le Canada est en compétition à l’étranger pour obtenir les meilleurs immigrants, et ce plan a pour but d’attirer les personnes dont nous avons besoin pour la prospérité du pays. »

Des immigrants plus fortunés

Thomas Lemieux, économiste et professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, reconnaît que ce nouveau système a l’avantage de palier les disparités entre immigrants et Canadiens. « Quand on est plus sélectif on se retrouve avec des immigrants plus fortunés qui s’intègrent plus facilement. C’est une solution qui réduirait sans doute le problème de pauvreté chez les immigrants. »

Le spécialiste des inégalités en matière de revenus au Canada ajoute que malheureusement, en contrepartie, il sera plus difficile pour les émigrants des pays pauvres de s’installer au Canada. « C’est vrai que le système en question est un peu élitiste » ajoute l’universitaire originaire de Montréal.

Abondant dans le même sens, M. Leba est du même avis. « On peut oublier les pays d’Afrique et autres. » Installé depuis neuf ans au Canada, il a de sérieuses réserves face à cette politique d’immigration économique sélective. « Quand les entreprises choisissent les candidats, elles peuvent discriminer à tous niveaux : âge, sexe, diplômes. Si elles ont le choix entre un jeune de 30 ans ou quelqu’un de plus de 50 ans et en fin de carrière, elles ne vont pas se poser la question très longtemps. »

Pire encore, pour le directeur de La Boussole « cette méthode, c’est choisir l’élite, pas seulement intellectuelle, mais aussi économique, » et il pointe du doigt les mécanismes de contrôle de cette sélection, qu’il qualifie d’aléatoire.