La francophonie s’étiole dans la culture iranienne

Photo par KatJato, Flickr

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Le 21 mars prochain, la communauté iranienne célébrera le Norooz, la fête traditionnelle du nouvel an du calendrier iranien, l’occasion de s’intéresser à cette communauté qui a été très liée à la francophonie par le passé. L’agglomération du Grand Vancouver compte ainsi plus de 30 000 Iraniens, qui pour la plupart parlent leur langue maternelle, le farsi, ainsi que l’anglais.

Un peuple iranien qui se francophonise

 

Si la prédominance du français s’est fanée avec les années, la francophonie a été durablement mélangée à la culture iranienne il y a plusieurs siècles. Au XVIIe siècle, l’Église française a envoyé ses missionnaires, interprètes et conseillers en Perse. Parmi eux, le Père Capucin Raphaël du Mans, qui était un véritable ambassadeur de France à la cour de l’Empire perse. Ce génie des langues ayant une connaissance exceptionnelle du persan et du turc a ainsi enseigné le français à la Cour royale du chah Abbas II. Mahmoud Reza Gashmardi et Ebrahim Salimikouchi rappellent dans leur analyse Parcours de la francophonie en Iran : une francophonie latente publiée par l’Université de l’Alberta, que la langue de Molière y a connu des jours glorieux. Les Européens résidant en Perse ayant obtenu la permission d’ouvrir des écoles, au seuil du XXe siècle, plusieurs nouvelles écoles ont été créées à Téhéran. Elles ont joué un rôle important pour la propagation de la langue et culture françaises dans la société iranienne.
« Cependant, à partir du début du XXe siècle, la mainmise des Anglais et des Américains sur les affaires du pays a entraîné le recul progressif du français. »

Un constat historique qui est partagé aujourd’hui par Nasreen Filsoof, présidente de la Fondation pour les Iraniens à Vancouver. Dans la société actuelle, l’éducation est extrêmement importante en Iran, les jeunes rêvent tous de devenir architecte, docteur ou avocat et les familles ne regardent jamais à la dépense pour leur offrir les meilleurs études et les plus hauts diplômes. Or auparavant, la France était vue comme un pays incontournable pour apprendre les bonnes manières. Elle était un passage presque obligatoire pour permettre aux enfants de bonne famille de parfaire leur apprentissage avant d’entrer dans la vie active. « L’épouse de Mohammad Reza Pahlavi, le Chah d’Iran entre 1959 à 1980, a joué un rôle prépondérant dans la transmission de la culture française dans le pays. La reine Farah, devenue impératrice en 1967, y a étudié et a toujours partagé sa vie entre la France et l’Iran. Elle a ainsi renforcé ce lien déjà existant entre la francophonie et la communauté iranienne. »

Un usage plus pratique des langues

Pourtant, aujourd’hui, les temps ont changé et les générations plus jeunes délaissent l’usage du français pour l’anglais. Ils deviennent plus « pratiques », ils misent sur leur intégration future à l’étranger, qui plus est dans une province anglophone telle que l’est la Colombie-Britannique. L’anglais devient un investissement plus raisonnable. Cependant les jeunes perses restent très intéressés par la francophonie comme l’explique Naghmeh Sharifi, une artiste peintre iranienne installée au Canada. « J’ai commencé à apprendre le français en 2004 après avoir été acceptée pour un échange artistique avec l’école des Beaux Arts de Paris. Ne sachant pas un mot de français jusqu’à ce moment, je me suis inscrite à un programme de bourse pour les langues avec des cours intensifs. Je me suis beaucoup intéressée aux livres français que je pouvais emprunter à la bibliothèque. »

L’artiste remarque d’ailleurs plus de similitudes entre la culture iranienne et française qu’avec l’anglophonie, notamment en terme de fierté et de traditions.

« A l’école, en Iran, il nous faut apprendre l’arabe comme seconde langue et l’anglais comme langue internationale. Devoir acquérir une quatrième langue lorsque l’on atteint les 20 ou 30 ans s’avère alors assez problématique. » Naghmeh rappelle qu’elle a dû faire un gros travail pour s’approprier la culture anglophone en arrivant au Canada « Recommencer tout ce chemin pour s’imprégner de la langue et des spécifités francophone est un vrai défi. Je comprends que cela en rebute certains. »

Les multiples exceptions grammaticales et les subtilités de la langue française découragent justement les plus jeunes, d’autant que son utilisation reste assez limitée au Canada. Ali Sharif, avocat retraité, a rejoint sa famille à Vancouver il y a 10 ans. Il regrette la difficulté de rencontrer des francophones et une communauté qui apparaît trop fermée. « J’aimerais pouvoir pratiquer mais je n’en ai jamais l’occasion. Je ne connais d’ailleurs pas de francophiles. » Un constat qui est aussi fait dans la province de Québec par Aki Yaghoobi, actrice de 36 ans arrivée à Montréal en 2009. « Je connais beaucoup d’Iraniens ici et peu d’entre eux parlent le français. » D’ailleurs malgré la prépondérance de la francophonie dans la province, la jeune femme n’a pas beaucoup d’amis français. « Avant, quand je travaillais dans un hôtel, je parlais français et en anglais tous les jours. Mais maintenant je retourne finalement le plus souvent à ma langue maternelle. »

Canadian Iranian Foundation
www.cif-bc.com
604-696-1121