L’art contemporain ismaélien s’expose

Sunset in Rajasthan, par Aziz Dhamani.| Photo par Aziz Dhamani

Sunset in Rajasthan, par Aziz Dhamani.| Photo par Aziz Dhamani

Un collectif d’artistes musulmans contemporains lève le voile sur la foi ismaélienne par le biais d’une exposition à la Surrey Arts Gallery. Jusqu’au 9 août, le public est convié à une pérégrination spirituelle sur le thème « Change ». On y découvre les mille et une facettes d’un Islam humaniste qui prône l’unité dans le paysage multiculturel du Canada.

L’exposition qui présente des œuvres des membres britannico-colombiens du collectif Ismaili Arts Canada démystifie le concept populaire du « Qi’yamat » ou de fin du monde. Le changement se définit comme la résurrection de l’homme par une nouvelle vision du monde. Yasmin Karim, coordonnatrice de l’exposition et artiste, explique que l’idée de cet événement est née d’un triste constat sur le monde actuel, où le progrès de la science est dépassé par les guerres et les conflits.

Ha Mim, par Yasmin Karim.| Illustration par Yasmin Karim

Ha Mim, par Yasmin Karim.| Illustration par Yasmin Karim

L’ismaélisme, un courant minoritaire de l’islam chiite apparu au IIe siècle de l’Hégire (VIIIe siècle), est dirigé par un chef spirituel : son Altesse, l’Aga Khan, 49e imam dans la lignée directe du prophète Mohamed. L’ismaélisme est présent dans 25 pays et compte environ 15 000 adeptes en Colombie Britannique, le nombre le plus important après l’Ontario. Le noyau de cette école de pensée réside dans la quête de la connaissance et du droit chemin par l’étude de la philosophie. Le culte de l’ismaélisme, qui prône la transformation intérieure par la pratique du zikr, soit la méditation, vise à se rapprocher de la voie divine en franchissant les paliers de l’évolution.

L’alchimie des formes et des couleurs
En franchissant le seuil de la galerie, l’œuvre abstraite de Taslim Samji, Falling Star, invite à un voyage méditatif au plus profond de soi. À côté, les crayonnages de Jalal Gilani contrastent. L’artiste vient composer avec un nouveau style et dépeint les visages et les formes de la femme, symbole de la survie. Les œuvres se succèdent dans un agencement qui favorise une réflexion soutenue. À quelques mètres, les toiles d’Alia Noormohamed, artiste peintre canadienne de souche kenyane, attirent par leurs formats généreux. Elles accrochent le regard par le bouillonnement d’émotions qui s’en dégage. La juxtaposition dans la mosaïque de couleurs est osée. La dichotomie entre les tableaux est troublante. L’artiste sollicite une conversation avec « le Dieu suprême ». Tantôt, elle dessine le portrait de l’éclosion de la beauté après les tourments du Qi’yamat (la transition entre les deux mondes) par le bleu clair de l’océan, symbolisant le calme, tantôt elle s’interroge sur le chemin du retour de l’âme vers la source. Ce sont des moments de doute, des zones d’ombre dans l’existence humaine. Elle se confie : « L’ismaélisme s’enrichit d’expressions d’intentions. Ainsi, le zikr ou la méditation y est inhérente. J’ai choisi l’art pour communiquer avec Dieu et exprimer ma gratitude envers l’humanité. »

Crab Fishing in Dar-es-Salaam Beach, par Sher Nasser.| Illustration par Sher Nasser

Crab Fishing in Dar-es-Salaam Beach, par Sher Nasser.| Illustration par Sher Nasser

Chaque artiste reflète à sa façon sa vision d’un islam qui se veut humaniste. Sher Nasser, originaire de Zanzibar, dépeint à la fois la savane de l’Afrique de l’est, le monde des animaux, la tribu des Masaï et l’océan. L’artiste déclare que l’ismaélisme est loin d’être un courant ésotérique. Il relève d’une école de pensée qui conjugue la vie de tous les jours à la pensée divine. Elle poursuit : « Le Coran nous apprend que nous pouvons apprendre du plus petit insecte. Tout un verset y est consacré d’ailleurs. Quand je suis inspirée par un sujet, cela cogite en mon for intérieur et resurgit comme une réverbération sur mes toiles, telle une prière de communion. Le respect, l’humilité et la grandeur de l’âme sont autant de valeurs inhérentes à la foi ismaélienne. »

Les véritables fondations de la vie spirituelle

En effet, l’humilité revient souvent dans la thématique de l’exposition. Au beau milieu de la salle, Azmina Kassam rend hommage à son Altesse l’Aga Khan, en exposant un fusain d’une femme tenant une écuelle de mendiant. Les rides de son visage sont marquées mais elle est reste robuste et humble car « la lumière universelle éclaire son âme ». Quant à Aziz Dhamani, photographe originaire du Bangladesh, il braque son objectif sur la magie de la nature. Ce sont des clichés insolites qui laissent transparaître un jeu d’ombre et de lumière. Il lance : « En tant qu’artiste, je pense que nous ne devons pas nous cloisonner dans une idée rigide de la religion. Le monde est un espace vivant où l’humanité peut évoluer dans la diversité. Tous les cultes convoitent le même but. » Cette exposition n’est qu’une main tendue vers toutes les croyances, afin de célébrer ensemble la diversité du Canada. C’est un geste communautaire où toutes les cultures peuvent se retrouver et concilier leurs pensées. C’est avec la passion qui réside au plus profond de l’être humain que le progrès peut se faire.

Exposition

Change: Contemporary
Ismaili Muslim Art

Jusqu’au 9 août
Surrey Arts Gallery
www.surrey.ca/culture-recreation/1564.aspx