Gai brassage de citoyennetés

L’oeuvre Portrait (2014) de Francisco-Fernando Granados.|Photo par Gary Drechou

L’oeuvre Portrait (2014) de Francisco-Fernando Granados. | Photo par Gary Drechou

En écho aux mesures « anti-gais » en vigueur en Russie, et plus globalement à la persistance de politiques homophobes dans de nombreux pays, des artistes « dévient » gaiement la notion de citoyenneté. Queering Citizenship, à l’affiche jusqu’au 28 juin à la galerie Satellite, sur Seymour, et Queering the International, dès le 23 juillet à la rotonde de Yaletown, exposent ces voix singulières qui brassent les citoyennetés reçues.

L’adjectif queer n’est déjà pas évident à traduire en français. Pour Larousse, il est « étrange », « bizarre », « patraque », « timbré », « louche », « suspect » ou « pédé », avant de se dire « gai ».
L’histoire des luttes des LGBTIQ (lesbiennes, gais, bisexuel-le-s, transgenres, intersexes et queers) est résumée par cette suite langagière, comme le rappelle Derrick Chang, étudiant à la maîtrise à UBC et commissaire de l’exposition Queering Citizenship : « Le terme queer a été progressivement libéré de son sens premier, une insulte homophobe, pour devenir un terme positif lié à une critique de la citoyenneté et de la participation politique. » Maintenant, imaginez le verbe to queer ! Comment le traduire, et, surtout, comment le conjuguer avec la notion de citoyenneté, ou « la situation positive créée par la pleine reconnaissance aux personnes de leur statut de citoyen ». C’est l’enjeu qu’explorent des artistes contemporains.

La « vidéo musicale » intitulée Patriotic (2005), signée Pascal Lièvre et Benny Nemerofsky Ramsay. | Photo gracieuseté des artistes

La « vidéo musicale » intitulée Patriotic (2005), signée Pascal Lièvre et Benny Nemerofsky Ramsay. | Photo gracieuseté des artistes

(Ré)appropriations symboliques
Point d’arc-en-ciel à la galerie Satellite. Accueilli sur la mélodie de My Heart Will Go On, le visiteur est mené en bateau : en lieu et place du Titanic et de Céline Dion, un fond rose pâle devant lequel des lurons en uniforme chantonnent des extraits du U.S.A. Patriot Act voté en 2001 sous la présidence de George W. Bush. La vidéo Patriotic (2005), signée Pascal Lièvre et Benny Nemerofsky Ramsay, se veut bien sûr ironique. Elle détourne un discours anti-terroriste et se l’approprie en biais, à la sauce romantique. Passé Céline, c’est l’image d’une autre Reine qui est travestie en photo. De prime abord, l’artiste Naufús Ramírez-Figura y revêt les attributs monarchiques, « décolonisant » à sa façon – propre – l’un des symboles les plus reproduits du Commonwealth. Mais vu de derrière, ô surprise, le postérieur royal est souillé ! The Soiled Queen donne à voir l’envers du décorum, le double tranchant de l’institution. Pas si éloignée, l’œuvre Portrait, signée Francisco-Fernando Granados, montre un homme portant un t-shirt frappé de la formule I CANADA. En apparence, l’attribut du touriste moyen ou du patriote lambda. Mais en y regardant de plus près, la forme du cœur, découpée dans le t-shirt, laisse apparaître le torse pileux de son homme. La virilité patriotique ou le désir d’inclusion – au choix – croqués en un clin d’oeil à l’imagerie gaie.

Pour Francisco-Fernando Granados, qui vit à Toronto, « con-queerer » le monde consiste à « le regarder, le comprendre, l’explorer, l’expérimenter à partir d’une perspective différente, hors-normes, avec plaisir et irrévérence. » Il précise : « Pour beaucoup d’entre nous, cette démarche est un mécanisme de survie. Être queer n’est pas un choix, c’est ce que nous sommes. Mais ce n’est pas qu’une identité : il y a des moments queer, des expériences queer. » D’où la mise en verbe.

L’arc-en-ciel en refuge ?

Sans apporter de solutions politiquement correctes à cette crise de la citoyenneté si souvent dépeinte, les artistes participant à Queering Citizenship et à Queering the International, autre exposition collective qui investira la rotonde de Yaletown dès le 23 juillet, la conjuguent librement au verbe queer. Ils détournent son sens commun, l’internationalisent, lui donnent des couleurs. Brassage certes, mais pour mieux em-brasser les singuliers, les à-côté, les marginaux, les persécutés, les rejetés, les déplacés.

Aux yeux de Chris Morrissey, qui n’a rien à voir avec ces deux expos, mais qui démine le terrain au quotidien avec l’organisme Rainbow Refugee, soutenant les demandeurs d’asile LGBTIQ issus des quatre coins du globe, là réside la fin du dessein : pousser les États à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les LGBTIQ (« et toutes les lettres que vous voulez ajouter au sigle ») partout sur la planète, mettre fin à la persécution et à l’hétérosexisme.

Un monde plus « gai » ne verrait plus des individus quitter leur pays par peur, mais par choix. L’être humain serait plus naturellement citoyen, moins résident ou réfugié. Et ici à Vancouver, l’arc-en-ciel ne serait plus un pavillon à hisser, mais une communauté aux bras encore plus ouverts.

Exposition Queering Citizenship
Jusqu’au 28 juin à la galerie Satellite (mercredi à samedi de 12h à 18h)
560, rue Seymour, 2e étage

Exposition Queering the International
Du 23 juillet au 9 août à la rotonde de Yaletown (tous les jours)
181, Roundhouse Mews (coin des rues Davie et Pacific)