Au pays de la grogne

La politesse à la française. | Photo par Geoffrey Dudgeon

La politesse à la française. | Photo par Geoffrey Dudgeon

Voici les mésaventures d’un Canadien errant au pays de ses ancêtres. Ce brave homme, dénué de toute malice, et d’une innocence incommensurable, décida, pour célébrer son anniversaire, de se payer un beau voyage, en compagnie de son épouse et de leur bébé, sur le vieux continent où lui et ses aïeux naquirent. Mal lui en a pris. Pas plutôt débarqué à Paris que ses ennuis commencèrent.

Habitué au laisser-aller et à l’insouciance légendaire qui caractérisent sa chère Côte Ouest, notre héros vancouvérois connut ses premières difficultés franciliennes en se rendant vers l’agence de location de voiture où il avait réservé, bien en avance, prudence canadienne oblige, une camionnette de camping dans le but de parcourir cette France que sa femme et lui avaient hâte de redécouvrir.

À Paris, chemin faisant, craignant d’être en retard et ne possédant pas de montre, il crut bon d’arrêter une brave ménagère portant un panier rempli de provisions dans chaque main. Poliment, il lui demanda l’heure. La dame, visiblement dérangée, déposa tranquillement ses cabas sur le trottoir, le regarda droit dans les yeux et lui dit, sèchement : « Est-ce que j’ai l’air d’une horloge ? » Elle ramassa ses affaires et repris son chemin. Nos deux touristes restèrent cois pendant de longues minutes. Jamais au Canada ils n’avaient eu droit à pareil traitement. Certains de leurs amis, avant leur départ, les avaient pourtant prévenus. La France c’est spécial, leur avait-on dit. Ils ne les avaient pas crus, pensant qu’il ne s’agissait là que de vagues stéréotypes et d’habituels clichés. Ils décidèrent, lui en particulier, de ne pas trop prêter attention à ce comportement et d’ignorer l’incident. Après tout, essaya-t-il de se convaincre, il ne faut pas faire de généralité. L’exception n’étant pas la règle.

Le lendemain, toujours à Paris, ils voulurent visiter le Centre Pompidou. Proche du quartier du Marais, ils se perdirent. Prenant son courage à deux mains, devant un kiosque à journaux il s’adressa au marchand « Pardon monsieur, bonjour monsieur (il avait appris les formules de politesse par cœur, soucieux de ne pas offusquer la désormais fameuse susceptibilité française), pouvez-vous m’indiquer où se trouve le Centre Pompidou, S.V.P. ? » Le marchand, tout en continuant de distribuer ses journaux, se tourna vers lui et lui répondit, sur un ton narquois et d’une voix dure, « Mais là où il a toujours été, monsieur. » Sur ce, il rendit la monnaie à un client et se désintéressa totalement de notre brave homme qui, de plus en plus, commençait à rêver de retourner au Canada, en Colombie-Britannique où les gens sont bien moins hostiles. Ce genre de sarcasme commençait à lui peser lourdement sur la patate, comme disent les Français. Sa femme, elle-même, fit l’expérience de cette malveillance lorsqu’elle se rendit dans une pharmacie pour y acheter des couches. « Avez-vous des couches pour bébé ? » demanda-t-elle à la pharmacienne. « Si je n’en avais pas, madame, je ferais faillite », lui répondit cette dernière sur un ton carrément antipathique. Le bébé se mit à pleurer. De toute évidence, lui non plus n’appréciait pas son séjour en France. Ils en tiennent une couche ces Français pensa-t-il (j’imagine) tout bas. Au Canada, apparemment, les commerçants sont nettement plus courtois.

Reconnaissant le manque de succès dans leurs relations sociales parisiennes, nos compères prirent la route pour la France profonde : Celle des « beaufs » ou plus communément appelé Rednecks chez nous au Canada. Ils y découvrirent un tout autre visage de cette douce France. Des gens charmants, joviaux, amicaux les accueillirent tout d’abord, partout où ils se rendirent. Mais rapidement ils déchantèrent. Lorsque les conversations dépassèrent la banalité, une triste réalité fit surface. Il est ainsi possible en France d’exprimer ouvertement ses opinions et d’afficher, sans ambages, à haute voix, son racisme, son antisémitisme (arabes et juifs dans le même sac) et sa haine des immigrants. Ces « gentils beaufs » sont passés, sans inconfort moral, pour un grand nombre d’entre eux, du Parti communiste au Front national. Ce dernier devenant ainsi, aux dernières élections européennes, le premier parti de France.

Rentrés chez eux à Vancouver, nos voyageurs passèrent par une longue période de réflexion. De cette aventure, ils finirent par conclure qu’au fond, les railleries dont ils avaient été les victimes ne faisaient, en fait, que mettre en évidence un esprit vif et subtil. Il valait mieux en rire et prendre le tout à la légère. Ce qu’ils firent de bonne volonté et avec le sourire, constatant que le sarcasme, l’arrogance et le manque de politesse sont de loin préférables à la haine d’autrui, dont ils furent les témoins, souvent affichée sans vergogne, au pays d’Astérix, de la grogne, du mécontentement général et des embrouilles politiques. Les voyages, définitivement, forment la sagesse.