Garder ses distances ou tendre la main ?

Steven Nunoda a créé l’installation Ghowtown après avoir réalisé des recherches sur l’internement de la communauté japonaise au Canada durant la Seconde guerre mondiale.

Steven Nunoda a créé l’installation Ghowtown après avoir réalisé des recherches sur l’internement de la communauté japonaise au Canada durant la Seconde guerre mondiale.

Trop près, trop loin, juste au milieu, quelle est la bonne distance pour interagir en société ? En cette rentrée, La Source vous propose le deuxième épisode d’une série consacrée aux différentes approches culturelles du vivre ensemble, avec un gros plan sur les Nippo-Canadiens.

Parmi les différentes strates multiculturelles qui font la richesse de la Colombie-Britannique, la communauté japonaise fait partie des plus anciennes venues s’installer au Canada, en grande majorité sur la côte pacifique. C’est d’abord Victoria et l’Île de Vancouver qui ont d’ailleurs accueilli en grand nombre les premiers arrivants originaires du Japon, dès la fin du XIXe siècle. Doté d’une hiérarchie sociale très codifiée, le Japon et ses représentants ont à l’origine pour habitude de préserver une stricte distance sociale, et ce, dès les premiers contacts entre deux personnes qui ne se connaissent pas.

« Au Japon, il est commun pour se saluer de s’incliner, explique David Iwaasa, Nippo-Canadien de troisième génération né à Alberta il y a 66 ans. On ne touche pas l’autre personne, on ne se serre pas la main, on garde une certaine distance. C’est le cas très clairement avec les étrangers ou dans un environnement professionnel. Excepté dans un contexte familial, on ne touche jamais l’autre.
Alors qu’au contraire, au Canada, il est très commun de se serrer la main, voire de se prendre dans les bras.»

Angela Hollinger à la remise annuelle de récompenses Nikkei de l’association japonaise économique de Vancouver.

Angela Hollinger à la remise annuelle de récompenses Nikkei de l’association japonaise économique de Vancouver.

Faire preuve de tact

Angela Hollinger, née au Japon au sein d’une famille japonaise, élevée en partie à Rome, en Ita-
lie, et résidant au Canada depuis 27 ans, explique cette réserve et cette distance originelles par la façon dont le Japon s’est construit. « Les Japonais mettent l’accent sur l’harmonie au sein de la communauté. Le Japon est en effet un petit pays doté d’une économie forte mais, traditionnellement, le pays s’est fondé sur une culture agricole et par nécessité, il était important au sein de la communauté de collaborer les uns avec les autres. Jusqu’à maintenant, on attend donc des gens qu’ils aient l’esprit d’équipe, qu’ils soient calmes, obéissants et qu’ils fassent preuve de tact avec les autres. » Donc, pour ne heurter personne, pas de baisers ou d’étreintes en public. « Les démonstrations d’affection en public ne sont pas acceptables au Japon, confirme Angela Hollinger. Je parlais récemment avec un client japonais qui m’a raconté avoir croisé une de ses connaissances japonaises à Tokyo, rencontré à Vancouver. Elle était tellement contente de le voir, que spontanément, elle l’a pris dans ses bras. Il m’a dit s’être senti très mal à l’aise… »

Une culture nippo-canadienne distincte

Mais pour des individus ayant baigné toute leur vie dans un environnement nord-américain, les conventions sociales d’origine tendent à s’assouplir ou tout simplement à être adaptées selon le contexte. C’est ce que souligne Joji Kumagai, né à New Westminster au sein d’une famille japonaise venue s’installer au Canada à la fin des années 1960. « Il y a désormais une culture nippo-canadienne distincte de la culture japonaise originelle, remarque Joji Kumagai. Il n’y a pas de différence flagrante, mais ayant grandi au Canada, il y a automatiquement des influences canadiennes, et, de fait, certains aspects culturels japonais ont été adaptés aux habitudes locales… Il est évident que les Japonais ne sont pas les plus ouverts pour ce qui est de montrer leurs émotions en public ; certaines cultures semblent en effet être plus ouvertes, plus extraverties. Pour les jeunes gens, se tenir la main n’est plus un problème, mais par exemple, je ne me souviens pas avoir vu mes propres parents se tenir la main. Se prendre dans les bras devient un peu plus commun, certaines connaissances peuvent le faire plus souvent maintenant et se montrer moins réservées de ce point de vue- là. » La retenue reste donc de mise même si elle est pimentée par la spontanéité et l’élan nord-américains.

 

Les fantômes du passé
C’est un épisode douloureux de l’histoire de la communauté japonaise au Canada qui a engendré l’exposition Ghostown, actuellement au musée national Nikkei : celui des internements dans des camps de Nippo-Canadiens suspectés alors de trahisons potentielles au profit du Japon après l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Le souvenir des histoires racontées par ses parents et grands-parents a poussé l’artiste Steven Nunoda à imaginer et à mettre en scène 220 maisons miniatures en papier goudronné. Celles-ci sont accompagnées d’éléments sonores et vidéos, afin de commémorer ces événements, qui, peu à peu, ne pourront plus être relatés par les témoins directs. La dramaturgie de l’installation et l’utilisation de maisons servent d’éléments pour accueillir la mémoire, la conscience et l’imagination des visiteurs.
Exposition Ghostown Au Nikkei National Museum & Cultural Centre (Burnaby, BC)
Jusqu’au 31 août 2014