Croquer la Corée ? À la folie kimchi et au-delà !

Dans un précédent numéro, nous vous avions parlé de l’Iran et de la gastronomie perse. Cette fois, La Source s’est intéressée à la cuisine coréenne… ou croyait le faire ! Le chef Eric Lee du Damso nous a entraînés au-delà du kimchi.

Je m’assois à une table du restaurant Damso II. Le chef Eric Lee m’apporte un verre d’eau. Il est jeune, calme, élancé, confiant. Il me rappelle un jardin zen; je vois bien d’où vient le décor du restaurant. On commence en parlant de ses expériences aux fourneaux. Je m’attends à entendre les noms de restaurants coréens. Mais, première surprise de l’entrevue, ce sont plutôt des grands noms du monde de la gastronomie qui parsèment son CV : le French Laundry en Californie (« j’étais un petit nouveau qui ne savait pas faire grand-chose de bien »), restaurant étoilé du Michelin, Le Crocodile ou Bouchon, restaurants de Thomas Keller. Il a aussi travaillé au Pan Pacific Place aux côtés de David Wong, délégué du Canada au Bocuse d’Or, compétition parfois comparée aux Jeux olympiques de la gastronomie. Les assiettes présentées au concours ? De la crème au foie gras, des festons servis avec du velouté de homard, des joues de bœuf braisé, entre autres. Mais rien de « vraiment » coréen en apparence.

Des plats d’accompagnement au Kim’s Mart. | Photo par Jenny Tan

Des plats d’accompagnement au Kim’s Mart. | Photo par Jenny Tan

La cuisine globale

Où sont les inspirations coréennes que j’avais imaginées ? « Il n’y a plus de cuisine d’une culture spécifique », me répond le chef Lee. « On parle maintenant de cuisine globale. » J’hésite. Le Damso n’est-il pas un restaurant coréen, même moderne, et lui, un chef de cuisine coréenne ? Mon nuage de perplexité s’estompe quand il me confie que ses restaurants préférés à Vancouver sont le Burdock & Co. et le Farmer’s Apprentice. Aucun nom coréen. J’accepte enfin que cette entrevue ne se passe pas de la façon prévue. Pourrait-il mettre le doigt sur ses sources d’inspiration ? Les épices utilisées par un restaurant, le décor d’un autre, ou peut-être une cuisine en particulier ? Il fronce les sourcils. « Non, pas vraiment. » Dans la tête du chef, cela ressemble plutôt à un tourbillon d’idées… qui produit un beau mélange de saveurs.

Le kimchi, par exemple, si traditionnellement associé à la Corée, n’est pas le même que celui de grand-mère à Damso, m’assure-t-il. On le propose au fenouil, à la tomate, et même au chou de Bruxelles (acheté sur les marchés de producteurs locaux) – son préféré ! Intérieurement, je me dis que peut-être les choux de Bruxelles seraient plus appréciés des enfants s’ils étaient présentés comme du kimchi.

La cuisine néo-traditionnelle

Étal des viandes au Kim’s Mart. | Photo par Jenny Tan

Étal des viandes au Kim’s Mart. | Photo par Jenny Tan

Avec cet exemple du kimchi, probablement la spécialité coréenne la plus connue dans le monde, je pense que le chef Lee veut m’aider à voir la distinction entre la cuisine coréenne moderne et traditionnelle. Mais en fait, à son avis, elle n’existe pas. Considérons, suggère-t-il, le kimchi il y a deux cent ans. Je visualise l’assiette. Du chou Napa baignant dans une sauce cramoisie, fermenté et épicé, qui vous brûle la langue. Je me rappelle d’un ami coréen qui avait un deuxième frigo seulement pour le kimchi et qui me régalait de ses histoires d’enterrement de pots de kimchi pour le faire fermenter. Le chef Lee me tire de ma rêverie. « Le kimchi, dit-il avec un petit sourire, n’était pas piquant il y a deux cent ans. » Je fronce les sourcils. « On imagine que le kimchi a toujours été piquant, mais ce n’est pas le cas. Donc est-ce que le kimchi piquant est un plat moderne ? » Moderne, authentique, traditionnel – sont-ce des illusions verbales, vides de sens ? La carte du Damso sur la rue Bute change chaque semaine, souligne-t-il. « La cuisine s’adapte toujours. Il faut s’adapter. » J’acquiesce.

L’animation me happe en entrant au Kim’s Mart, sur Broadway. Je suis accueillie par du calamar en contenants à emporter. Il est 19h, mais le tourbillon d’activités dans cette épicerie coréenne ne semble pas prêt de cesser. Les allées sont exigües et les clients portent des paniers remplis de viande fraîche finement tranchée. Une pléthore de mets d’accompagnements (spécialité coréenne) borde les caissiers. Je ne trouve pas les poivrons coréens dont le chef Lee me parlait plus tôt, mais je vois du tofu fait maison, de la crème glacée aux haricots adzuki, et des patates douces rôties.

Je me souviens des mots du chef Lee en sortant de Damso. Que veut-il que ses clients retiennent de leur repas ? La réponse balaie tous nos échanges sur la philosophie de la nourriture, les influences culinaires et l’histoire de la gastronomie coréenne : « Je veux qu’ils disent, tout simplement, que c’était bon. »