« Piga Picha! » : quand Nairobi se fait tirer le portrait

La plupart des portraits représentent des anonymes entre 1910 et aujourd’hui.| Photo par Kennedy Mungai

La plupart des portraits représentent des anonymes entre 1910 et aujourd’hui.| Photo par Kennedy Mungai

À partir du 25 novembre et jusqu’au 4 avril 2015, le Musée d’anthropologie (MOA) propose Piga Picha! (Prends-moi en photo), une exposition qui met en lumière un siècle de portraits de studios photo à Nairobi. Dans la mire : l’évolution de la société kényane de 1910 à aujourd’hui.

La photographie de studio est « une forme d’art très réputée à Nairobi, utilisée pour raconter des histoires, partager un statut social, et égayer le quotidien », confie d’emblée la curatrice et photographe professionnelle Katharina Greven. L’exposition Piga Picha! est le fruit d’un travail collaboratif entre le département Iwalewahaus et les archives africaines de l’Université allemande de Bayreuth, ainsi que le Goethe-Institut de Nairobi et les Musées Nationaux du Kenya.

Des visages et des histoires de Nairobi

« Chaque pays, chaque nation a sa propre Histoire. Et ce n’est pas l’histoire qui émane des images rassemblées, mais bien des histoires : celles des habitants de la ville de Nairobi. Chaque photographie est la narration d’un fragment de vie », explique Katharina. Nuno Porto, le curateur de liaison du MOA pour Piga Picha!, ajoute que « l’on devine visuellement les bouleversent sociaux, les représentations occidentales de la société urbaine de la capitale kényane », mais elles ne nous fournissent pas un contexte historique précis. Le travail initié par Katharina, anciennement du Goethe-Institut, et le Dr. Ulf
Vierke, directeur du département Iwalewahaus, se focalisent sur l’évolution de portraits de studios de photographie, plutôt que sur l’histoire de Nairobi. Katharina s’enthousiasme en pensant au potentiel de recherches historiques qu’offrent les images de l’exposition.

Depuis la décolonisation, les portraits sont plus expérimentaux | Photo de Peter Irungy

Depuis la décolonisation, les portraits sont plus expérimentaux | Photo de Peter Irungy

Cette dernière regroupe des photographies d’une trentaine de studios de Nairobi. Les images sont des copies numériques de négatifs et de tirages, « ce qui permet une conservation numérique des photos, et l’assurance que les originaux restent au Kenya. Nous avons été le plus respectueux possible dans notre démarche », explique la curatrice. Dans chaque image, c’est « plus que des reflets directs d’individus, ces portraits soulignent et amplifient l’image que l’individu souhaite donner de lui-même : son soi idyllique », affirme-t-elle. « Piga Picha! est une étude ethnologique qui associe la représentation de soi à l’autodétermination et la liberté de ses sujets. Les photos prises au lendemain de la décolonisation en sont le meilleur exemple, elles sont nettement moins traditionnelles et plus expérimentales », complète le curateur de liaison du MOA.

Les photos de Piga Picha! ont été organisées en six catégories : Uzee na Busara (Age and Wisdom), I and Me, Open Air, Imaginary « Safari », Speaking from Yesterday et Intimac. Elles nous présentent un large spectre des coutumes et des attitudes de plusieurs générations de Nairobiens.

Le déclin de l’œil du photographe et de la photographie de studio

L’exposition nous transporte dans l’atmosphère des studios de photographie. Nuro nous les présente comme « des théâtres : arrière-plans, accessoires, lumières, scénarios et mises en scène. Tout est possible ! ». Piga Picha! démontre les spécificités de chaque studio et le rôle central du photographe par le biais d’une série de portraits. Benson s’est fait photographier dans une quinzaine de studios de Nairobi, et le résultat est éloquent : chaque photo donne une image très différente du jeune homme. Au premier coup d’œil, c’est à se demander si c’est la même personne d’une photo à l’autre.

Les appareils photo et téléphones mobiles étant devenus monnaie courante, la photographie de studio a connu un déclin au cours des quinze dernières années. Nuno note que « les portraits de studio sont devenus plus neutres, et la place du photographe moins centrale, la photo d’identité a pris le pas sur les photos de famille, de couple et de mariage ». Pour Katharina Greven, Piga Picha! sert à reconnaître et à préserver la photographie de portrait comme une forme d’art importante avant qu’elle ne soit perdue.

D’abord présentée en 2009 au Musée national de Nairobi, l’exposition a depuis été vue en Allemagne et en France. L’aspect ethnologique de la représentation de soi par la photographie et l’accessibilité de cet art ont poussé le MOA être le premier musée en Amérique du Nord à recevoir Piga Picha!.

Pour plus d’informations :
www.moa.ubc.ca.