Ruby Slippers : le théâtre pour briser les solitudes

The List, une pièce de Jennifer Tremblay qui traite de l’isolement. | Photo par Moe Curtis

The List, une pièce de Jennifer Tremblay qui traite de l’isolement. | Photo par Moe Curtis

La troupe vancouvéroise Ruby Slippers présente deux pièces québécoises adaptées en anglais, Après moi de Christian Bégin et The List de Jennifer Tremblay, du 27 janvier au 1er février au Studio 16. Entrevue avec sa directrice artistique, Diane Brown, qui hisse depuis 26 ans les couleurs du théâtre canadien-français sur les planches de la côte ouest, avec l’espoir de briser les solitudes.

 

La SourceDepuis sa création, en 1989, le Ruby Slippers Theatre (RST) met un point d’honneur à produire à Vancouver des pièces canadiennes-françaises en anglais. Pourquoi ? 

Diane Brown : Nous présentons la fine fleur des pièces canadiennes-françaises depuis 26 ans. Introduire et ancrer le théâtre québécois d’aujourd’hui dans le psychisme du public de la côte ouest est très important pour nous. Cet échange culturel ne fait qu’enrichir notre écosystème créatif ! Certains des artistes de théâtre canadiens les plus influents viennent du Québec. Notre propre travail au RST a gagné en relief grâce aux relations nouées avec les dramaturges du Canada français. Et cela nous a permis de produire des pièces récompensées telles que The Winners de François Archambault (traduite par Shelley Tepperman), Down Dangerous Passes Road de Michel Marc Bouchard (traduite par Linda Gaboriau), The Leisure Society de François Archambault (traduite par Bobby Theodore) et Life Savers de Serge Boucher (traduite par Shelley Tepperman).

 

L. S.La traduction n’est pas un obstacle ? 

D. B. : Nous commandons souvent les traductions en anglais, comme nous l’avons fait ici avec Après moi. The List avait déjà été traduite. Leanna Brodie a été embauchée par le RST pour travailler avec l’auteur, Christian Bégin, afin de traduire la pièce pour nous. Leanna est allée à Montréal pour le rencontrer et tous deux ont travaillé à distance, au téléphone et par courriel, pendant plusieurs mois. Je dirais que le principal défi est de réunir le dramaturge, le traducteur et le metteur en scène dans une même pièce. Le Canada est un grand pays. Beaucoup peut être fait grâce à l’électronique, mais dans l’idéal tout le monde travaille ensemble dans la même pièce.

L. S.Vous ne produisez pas uniquement des pièces traduites du français, mais également des pièces originales en anglais. Votre public réagit-il différemment ? 

D. B. : Il a toujours aimé nos productions de pièces canadiennes-françaises. Notre esthétique minimaliste se marie bien à la nature personnelle des textes que nous choisissons. L’expérience du théâtre qui en découle est intime, et les spectateurs en sortent profondément remués.

L. S.Pourquoi avoir choisi d’adapter spécifiquement ces pièces de ces deux auteurs, que vous présentez comme de « nouvelles voix essentielles du Québec », en ce début d’année ? 

D. B. : Christian Bégin et Jennifer Tremblay font partie d’une cohorte d’auteurs qui racontent avec brio des histoires à petite échelle mais à fort impact. Ils se penchent tous les deux sur les vies intérieures de leurs personnages avec précision linguistique, humour noir et nuance. Leurs voix sont essentielles car elles parlent de choses qui sont pertinentes et significatives pour nos publics, qui vivent dans la société canadienne d’aujourd’hui. Les deux pièces abordent la notion d’isolement sous différents angles, soulevant des questions telles que « Comment pouvons-nous nous épanouir dans un monde de plus en plus enclin à l’ironie, à l’aliénation et à la distance ? Comment pouvons-nous créer de vrais liens avec les autres, et nous connaître nous-mêmes en profondeur, alors que nos capacités d’attention sont de plus en plus compromises ? »
L. S.Un isolement particulièrement vrai à Vancouver ? 

D. B. : D’après un récent rapport de la Vancouver Foundation, une vaste majorité de Vancouvérois se sentent isolés et ont peur de parler à leurs voisins. Dans ces deux pièces, on est touché – sans sentimentalisme – par la lutte du personnage pour se lier aux autres et on en apprend – sans dogmatisme – sur la fragilité, les besoins et la générosité des êtres humains. L’intimité et l’humanité des deux pièces est plus grande que nous tous; elles nous poussent à l’intérieur de nous-mêmes pour trouver les réponses.

L. S.Le théâtre a-t-il ce pouvoir ?

D. B. : La raison pour laquelle j’ai consacré ma vie à cet art est que je crois que le théâtre, lorsque réfléchi et bien construit, a ce pouvoir de créer une communion, qu’il peut faire sentir aux gens qu’ils sont intellectuellement et émotionnellement connectés les uns aux autres. Cette expérience en direct, très personnelle, aide à éveiller le sens de la communauté. Et lorsque les gens se sentent appartenir à une communauté, ils se traitent entre eux et ils traitent leur environnement avec plus de respect, ils font de meilleurs choix, je crois, et ils sont plus heureux ! Un lieu de théâtre accessible devrait exister dans chaque quartier pour que tous les groupes d’âge puissent s’y retrouver, échanger en cultures, en pensées, y partager des émotions et des rires.