La multi-citoyenneté menacée ?

Cérémonie de citoyenneté en 2009 | Photo par MaRS Discovery District

Cérémonie de citoyenneté en 2009 | Photo par MaRS Discovery District

En juin 2014, le projet de loi C-24 sur le renforcement de la citoyenneté canadienne a été approuvé par Ottawa. Parmi les changements notables, l’apparition de règles s’appliquant spécifiquement aux détenteurs de plusieurs citoyennetés. Nous sommes donc allés à la rencontre de quelques uns de ces porteurs de passeports multiples afin de savoir où réside leur appartenance identitaire.

Selon le dernier recensement de Statistique Canada, en 2011, 2,9% de la population possédait plusieurs nationalités. 79,5% d’entre eux étaient des immigrants. A compter de juin 2015, il sera plus difficile et plus long d’obtenir la citoyenneté canadienne. Mais, autre changement notable, il sera aussi plus difficile de la conserver.

Un sentiment d’appartenance lié aux circonstances

Les raisons pour lesquelles certains possèdent plusieurs citoyennetés varient grandement d’un individu à un autre. Gary Drechou, rédacteur en chef de la section française de La Source, est titulaire des nationalités française, suisse et canadienne. Il les a respectivement obtenues en vertu du droit du sang, du droit du sol et dans le cadre d’une immigration familiale. Ayant vécu toute sa vie entre les trois pays et n’ayant pas de souvenir, en raison de son jeune âge, de sa cérémonie de citoyenneté canadienne, Gary ne s’est jamais vraiment posé la question de son appartenance identitaire à un pays plutôt qu’à un autre. Il confie s’être construit sur ce trépied identitaire et ne trouverait pas normal d’avoir à choisir un passeport : ce serait comme lui amputer un ou deux pieds!

D’autres immigrants européens interrogés nous ont déclaré avoir demandé leur citoyenneté canadienne pour avoir le même passeport que leurs enfants, pour pouvoir postuler à certains emplois de la fonction publique réservés aux Canadiens ou encore pour pouvoir ensuite immigrer aux Etats-Unis. Dans ces cas précis, le sentiment d’appartenance à la société canadienne ne semble pas très marqué.

Tout le contraire pour Sarita Galvez et Ayisha. La première est arrivée du Guatémala en tant que réfugiée politique. Elle a passé toute sa vie d’adulte au Canada. Ce n’est qu’après avoir bénéficié d’une amnistie lui permettant de conserver sa nationalité de naissance qu’elle a demandé sa citoyenneté canadienne. Sarita se sent autant canadienne que guatémaltèque. Ayisha est quant à elle originaire de l’Afrique de l’Ouest. Après avoir vécu dans plusieurs pays, elle a choisi d’immigrer au Canada en raison de son « côté tranquille » lui permettant d’élever ses enfants en toute sérénité. Elle attache, elle aussi, une grande valeur à son passeport érable.

Entre ces citoyennetés de confort et de nécessité, on retrouve des Canadiens de naissance eux aussi titulaires de plusieurs nationalités. Leela C. est née au Canada d’une mère française et d’un père tamoul. Si elle possède la nationalité française, comprend parfaitement la langue de Molière et a inscrit sa fille en immersion, elle n’a néanmoins jamais fait de demande de passeport français. Lorsqu’elle se rendra dans l’Hexagone cet été, ce sera en simple touriste. Elle est canadienne avant tout. Tout le contraire de son frère qui a, lui, totalement embrassé ses origines françaises et utilise maintenant son passeport européen pour développer ses talents culinaires dans différents pays de l’Union. Quand on lui demande si c’est sa mère qui lui a transmis son amour du français et de la bonne chère, il répond que ce n’est pas si simple.

Une citoyenneté à plusieurs vitesses

Ces différents degrés dans le sentiment d’appartenance se retrouvent aussi lorsque l’on parle du projet de loi C-24. Les immigrants européens et les Canadiens de naissance interrogés se disent surtout ennuyés par la hausse du coût de la procédure d’obtention de la citoyenneté et par des délais encore allongés.

À raison de 530 $ pour l’étude du dossier et 100 $ pour l’obtention du certificat, il est maintenant de plus en plus difficile pour les immigrants à faibles revenus de déposer leur demande. Certaines familles se retrouvent donc à faire le choix de déposer les dossiers de chaque membre à des moments différents, car elles ne peuvent tout simplement pas payer pour tous en une seule fois. D’autres décident d’attendre d’avoir économisé suffisamment pour pouvoir célébrer ce moment important ensemble, prenant ainsi le risque de voir les lois et les tarifs changer encore une fois.

Sarita a surtout noté la création d’une citoyenneté à plusieurs vitesses qui pénalisera les porteurs de multiples passeports. Ceux-ci devront maintenant, par exemple, résider de manière régulière au Canada pour conserver leur citoyenneté. Ils pourront aussi la perdre sur simple décision du ministère de l’immigration et de la citoyenneté. Un danger que ne courent pas les Canadiens n’ayant qu’un seul passeport et qui peuvent donc décider d’aller vivre à l’étranger comme bon leur semble. Elle considère ces nouvelles règles comme une gifle donnée aux générations d’immigrants, pour qui devenir citoyens canadiens avec les mêmes droits et obligations que ceux nés sur le territoire est un honneur. Selon elle, la nouvelle loi va créer des citoyens de seconde classe.

Alors que le Canada est un des pays avec le taux de naturalisation le plus important du monde (89%), on peut se demander si la nouvelle loi ne va pas faire perdre de son attrait à un des passeports les plus désirés au monde ou pire, créer une classe de citoyens moins impliqués dans la vie de leur pays.