L’ennui

Si cela ne vous ennuie pas, j’aimerais vous parler de l’ennui, quitte à vous ennuyer un peu. Même avec un certain retard, il faut que j’en parle puisque tout le monde en a parlé et a, finalement, fini d’en parler. Vous parlez d’une histoire. Le sujet a nourri les conversations où le papotage faisait bon ménage avec le bavardage avant l’arrivée du potage.

Vancouver est-elle une ville ennuyeuse ? Voilà quelle était la question du jour. D’après un article, signé Gulliver, dans le magazine The Economist, il paraîtrait que oui. Apprenant cela, notre grand maire, Gregor Robertson, s’est offusqué. Je le comprends. Être à la tête d’une ville dont l’ennui est la marque de commerce n’est pas flatteur. Cela ferait de lui le roi de l’ennui ou le maître d’une métropole neurasthénique. C’est ennuyeux. Toutefois, il faut tout de même admettre que, si notre grande et belle ville lui ressemble (j’ose à peine le dire mais je le dis quand même), Gulliver, tout en froissant notre susceptibilité, n’a peut-être pas tout à fait tort.

Le maire Gregor Robertson, offusqué par l’article de The Economist. | Photo par Rishad Daroowala

Le maire Gregor Robertson, offusqué par l’article de The Economist. | Photo par Rishad Daroowala

La ville est charmante et même, à certains égards, attirante, d’où sa popularité. Rien à redire. Elle est toujours considérée comme l’une des trois meilleures du monde, où, à ce que l’on dit, il fait bon vivre. Ceci est acquis et nous en sommes ravis. Mais n’empêche, selon certains détracteurs, et ils seraient nombreux à ce que je sache, on s’ennuie mortellement à Vancouver. Je trouve cela discutable et très subjectif. Néanmoins, contrairement à ce qu’en pense notre bien cher maire, je ne vois pas l’intérêt de s’engager dans un débat qui va s’avérer futile et par conséquent ennuyeux. Tenter de prouver le contraire de ce qu’avance The Economist, met notre maire, qui n’est pas encore aux cieux, sur la défensive. Une position plutôt délicate. Écoutant les grands généraux de toutes les armées mal armées qui avancent que la meilleure défense est l’attaque, notre méritoire maire, offensé par Gulliver, passe à l’offensive. Il dit tout et son contraire. Il est furax. J’aimerais qu’il se calme et qu’il essaie de voir les choses en face. Pour commencer, il doit se rendre compte que sa ville est, n’ayons pas peur des mots qui nous font mal, effectivement ennuyeuse. Ce n’est pas une raison pour prendre le mors aux dents, estime mon dentiste qui a été vétérinaire dans une autre vie. Ensuite, s’il le peut, il devrait en rire et prendre les choses du bon côté. Après tout, cette affaire n’est pas très sérieuse. Il serait plutôt préférable de se demander ce qu’est l’ennui. Cette réflexion peut nous réserver des surprises.

À bien y penser, l’ennui, sauvagement diabolisé par ceux qui le craignent, ne serait, je me fais ici l’avocat du diable, qu’un mal pour un bien. Voyez-vous, l’ennui a ses mérites. Si l’on s’ennuie c’est souvent parce qu’on ne fait rien. Si l’on ne fait rien, on ne fait pas de mal. C’est déjà ça de gagné, non? J’avais un ami qui appelait Vancouver « la ville valium ». Fort bien. Une ambiance soporifique n’est pas pour me déplaire non plus. Je n’aime pas vivre continuellement sur les nerfs. Je fuis la violence, l’agressivité, le stress et le bruit. Je cherche l’accalmie, la tranquillité. Au milieu du désert j’ai cherché un coin pour m’abreuver et non me distraire. À Vancouver, j’ai trouvé mon oasis.

Ceci dit, j’adore Paris, Rome, New-York, Montréal. On s’y amuse, on s’y divertit, on s’y cultive. Ces villes ont de l’adrénaline dans l’air. L’ennui n’est pas inscrit dans leur ADN. Ces grandes métropoles ont beaucoup à offrir mais, pour rien au monde, je n’aimerais y habiter. Elles ne peuvent m’offrir la douceur de vivre que me procure une ville aussi ennuyeuse que Vancouver.

« L’ennui vient des attentes », me disait ma tante qui vivait sous une tente non loin d’ici. Elle a eu beaucoup d’ennuis mais n’a jamais connu l’ennui. « L’ennui ne m’ennuie pas car je l’évite le jour comme la nuit puisqu’il me nuit », insistait-elle. Et de poursuivre : « J’ai toujours quelque chose à faire. Quand arrive l’ennui je le chasse du revers de la main. Je n’utilise à son égard aucun terme belliqueux. Plus question de tuer, de combattre ni de vaincre l’ennui. De l’ennemi, j’en ai fait mon ami. Comme l’a très bien suggéré Érasme : “Celui qui connaît l’art de vivre avec soi-même, ignore l’ennui” ». Comme elle commençait à m’ennuyer, j’ai coupé court à la conversation.

Au diable (c’est encore l’avocat qui parle) les distractions. L’ennui vit, vive l’ennui.