L’angoisse, quelle poisse

Photo par Stephen Harper

Photo par Stephen Harper

Autant vous l’avouer tout de suite : j’ai eu un long moment d’hésitation avant d’écrire cette chronique. Son propos n’est pas flatteur à mon égard. Il révèle un côté de ma personnalité depuis longtemps étouffé. En fait, pour ne rien vous cacher, je ne suis pas certain que ce soit de bon aloi, d’emblée, comme ça, de dévoiler des choses aussi intimes sur moi. Sans doute qu’un peu de pudeur aurait été de rigueur.

Mais, pour des raisons dont je ne peux dévoiler l’origine, j’ai cru bon, aujourd’hui, à mon lever, alors que le soleil pointait du nez, de partager avec vous les moments parfois difficiles que je traverse. Je souffre en effet d’angoisses aigües lorsque je dois faire face à des situations délicates. C’est une névrose dont j’aimerais bien me débarrasser. De l’avis de mon psy, c’est faisable. Pour cela, me suggère-t-il, j’ai besoin d’en parler ouvertement, de ne rien cacher. Une thérapie infaillible, m’assure-t-il. Une sorte de sortie psychique du placard, un « coming out » ni plus, ni moins. Après avoir longtemps douté, j’ai accepté, faute de mieux, de suivre ses conseils et d’adhérer à ce principe. Prenant mon courage à deux mains, tout en tapant des pieds, je vais ainsi vous dévoiler ma dernière crise d’angoisse. Elle est toute récente. Elle remonte au 19 octobre, jour des élections fédérales.

Cette angoisse n’est pas sans me rappeler une autre, qui l’a précédée de quelques mois. Je revenais alors de Montréal et me rendais à Vancouver. Je dois préciser, afin que vous saisissiez mieux la situation, que je ne raffole pas des voyages en avion. Ceci étant dit, à mi-chemin, je sens le besoin, comme un grand nombre de passagers, de me rendre aux toilettes. Après avoir fait la queue, vient mon tour. Je m’installe aussi confortablement que possible. Pas plutôt installé que de violentes turbulences se font sentir. L’icône recommandant de boucler sa ceinture s’allume. L’appel du commandant exige le retour à nos sièges. Je suis pris de panique. J’angoisse. Je dois finir ce que j’ai commencé. Vous m’excuserez de ne pas entrer dans les détails, mais autant vous dire que je passe par un moment extrêmement difficile. Mon anxiété atteint son paroxysme lorsque je m’aperçois, trop tard, que le papier hygiénique est au bout du rouleau. Que faire? Tirer la sonnette d’alarme, appeler les hôtesses de l’air, sauter en parachute ou, faute de mieux, prier et implorer le bon Dieu pour qu’il vole à mon secours? De toute évidence, sachant que je suis athée, il ne viendra pas me dépanner. Finalement, tout est rentré dans l’ordre et je suis sorti indemne de cette malheureuse aventure qui, puisque je vous en parle, a laissé des traces et expose ma vulnérabilité face à l’angoisse.

Tout cela pour en revenir à la journée des élections fédérales. Une angoisse m’a saisi dès que j’ai déposé mon bulletin de vote dans l’urne. Un doute soudain m’a envahi. J’essaie de récapituler la séquence : je regarde la feuille qui m’a été remise avec les noms des candidats et leur affiliation politique. J’ai oublié mes lunettes à la maison. Ce n’est pas grave. Je les oublie régulièrement. Je pense donc être en mesure de lire malgré le flou qui perturbe ma vue. Je fais mon choix et, satisfait d’avoir accompli mon devoir de citoyen, je dépose mon bulletin. Je m’apprête à sortir. Tout à coup je me demande si j’ai coché la bonne case. Je ne suis plus certain. Tout s’est passé trop vite. Une profonde inquiétude me monte à la gorge. J’ai du mal à respirer. Je marche en titubant vers la sortie. Je vais sans doute m’évanouir. Quelqu’un devra me faire la respiration artificielle. J’espère que ce ne sera pas un sympathisant conservateur. On ne sait jamais ; le bouche à bouche peut s’avérer contagieux. Une âme charitable m’offre enfin un verre d’eau. Je vais mieux. Je commence à mesurer l’ampleur du désastre que j’ai peut-être causé en votant pour la mauvaise personne. Je risque, par aveuglement, d’avoir donné la majorité à Harper. Une bévue monumentale et inexcusable aux conséquences incommensurables. La honte me gagne. J’en ai des sueurs froides. Une quasi folie s’empare de moi. Je veux récupérer mon vote et réparer ma possible faute. J’insiste pour voter une seconde fois. On me l’interdit. Je suis au bord des larmes. Ma femme s’alarme. Je perds la tête et elle ne sait où donner de la sienne. Je m’entête. À cause de moi nous ne saurons jamais si Justin Trudeau est prêt à gouverner le pays. Tom Mulcair n’aura pas l’occasion de prouver que son budget ne sera pas déficitaire. Elizabeth May et ses Verts ne pourront, à mon grand regret, influencer, dans le bon sens, le sort réservé à notre chère planète. Vous saisissez maintenant l’ampleur de mon angoisse. Il y a de quoi paniquer. Vous ne trouvez pas ?