Les défis de la réforme électorale

Le nouveau gouvernement libéral à Ottawa s’est engagé à réformer notre mode de scrutin. C’est écrit noir sur blanc dans son programme politique. Les libéraux se disent « déterminés à faire en sorte que l’élection de 2015 soit la dernière élection fédérale organisée selon un scrutin majoritaire uninominal à un tour ». Ils promettent aussi le dépôt d’un projet de loi « dans les 18 mois suivant notre arrivée au pouvoir ».

C’est on ne peut plus clair.

Pourtant, le défi demeure de taille. En premier lieu, il y a la question du nouveau mode de scrutin. Les libéraux n’ont toujours pas proposé une alternative. Leur programme politique stipule qu’un comité parlementaire mixte sera chargé d’étudier « un éventail de mesures de réforme ».

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Sur ce plan, le programme néodémocrate faisait davantage preuve d’audace en proposant de remplacer le système actuel par un système de représentation proportionnelle mixte. On pourrait penser que le NPD a eu le « courage de ses convictions », pour reprendre le titre de l’autobiographie de Thomas Mulcair, le chef néodémocrate.

Pourquoi les libéraux ne se sont-ils pas mouillés ? Un élément de réponse est que la marge de manœuvre en politique est d’une grande importance. Un autre est que la stratégie libérale dans ce dossier avait pour objectif de rallier une coalition d’électeurs unis dans leur opposition au mode de scrutin actuel. Bref, cette question demeure en suspens.

Le premier défi est donc celui du choix d’un nouveau mode de scrutin. Les options abondent. Les systèmes électoraux sont généralement regroupés en trois « familles » : les scrutins majoritaires, les scrutins proportionnels et les scrutins mixtes. Et chaque famille comporte une série de modèles. Ce ne sont décidément pas les options qui manquent.

Plus globalement, le refus des libéraux d’arrêter leur choix aura eu pour effet d’ouvrir la porte aux partis de l’opposition, aux groupes d’intérêt et aux faiseurs d’opinion. Les attentes sont désormais élevées. Cependant, le gouvernement libéral devra finir par trancher et il reste à voir s’il sera en mesure de répondre aux attentes.

En deuxième lieu, il y a aussi la question de l’adoption du nouveau mode de scrutin. Pour l’essentiel, la question est de savoir si les libéraux peuvent déposer un projet de loi sur la réforme électorale, ou s’ils doivent plutôt soumettre le système choisi à un référendum.

Les points de vue sont partagés. D’une part, les libéraux ont été dûment élus dans le cadre d’une élection libre et équitable. Ce mandat inclut le droit de modifier le fonctionnement des institutions politiques dans le respect des paramètres définis par la constitution canadienne. D’autre part, les libéraux n’ont pas osé s’engager dans leur programme politique et du coup le nouveau mode de scrutin doit obtenir l’approbation de la population par voie de référendum. L’élection n’a pas permis à la population de se prononcer sur cette question, puisque le programme libéral était muet sur le nouveau mode de scrutin.

Au bout du compte, permettez moi deux prédictions. La première est que le gouvernement libéral ne respectera pas son propre échéancier. Presque trois mois se sont déjà écoulés depuis la dernière élection. Il reste donc seulement quinze mois pour constituer un comité parlementaire mixte, étudier les options et arrêter son choix sur un nouveau système. C’est la course contre la montre.

La seconde prédiction est que la réforme électorale décevra. Les attentes sont trop élevées. Le mode de scrutin à lui seul ne pourra solutionner la « crise » de la démocratie canadienne. De plus, n’oublions pas que le système uninominal à un tour a offert plusieurs gouvernements majoritaires aux libéraux au fil des années. Le Parti libéral risquera-t-il d’abandonner un système électoral qui a souvent joué en sa faveur ?

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à Simon Fraser University.