L’insomniaque

Un chien aboie, un hélicoptère passe au dessus de mon toit, des jeunes partouzent dans la maison d’à côté où vit madame Côté, impossible de dormir. Ma nuit promet. J’essaie de me calmer. J’enfouis ma tête sous l’oreiller. Rien n’y fait. Sous peu je vais éclater. Comment peut-on dormir avec un pareil vacarme ? Question posée mais restée sans réponse. L’insomnie me gagne. Je perds patience.

Il y a longtemps de cela j’avais pris des cours de méditation. J’aurais aimé m’en servir cette nuit mais j’ai depuis perdu mon mantra. Au prix qu’il m’avait coûté j’aurais mieux fait de m’approvisionner en somnifères. Je fulmine. Je me tourne d’un côté puis de l’autre. Ma démarche ne marche pas. Je mets des boules-caisses dans mes oreilles dans l’espoir qu’elles agiront vite et bien. Rien n’y fait. Elles me gênent plus qu’autre chose. Je les retire. J’encaisse. La sirène d’une ambulance se joint au tintamarre. Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter un tel sort ?

De toute évidence Morphée n’a pas l’intention de m’ouvrir ses bras. | Photo par Aaron Edwards

Autant compter des moutons. Ce que je fais sans être totalement convaincu par ce stratagème. J’atteins le chiffre mille sans compter ceux qui se sont fait manger par des loups qui étaient entrés dans la bergerie avant que je m’en aperçoive. J’estime toutefois que le compte est bon et m’apprête à fermer l’oeil lorsque je suis tout à coup ébranlé par le bruit d’une moto qui passe en pétaradant sans se soucier de mes soucis. J’abandonne l’idée des moutons pure laine.

Désespéré j’allume la télé, chose que tous les experts éveillés en insomnie recommandent de ne pas faire. J’aimerais bien les voir à ma place, ces savants à qui j’aimerais passer un savon lorsqu’ils font leurs recommandations.

À cette heure tardive de la nuit les films que l’on présente sont passablement ennuyeux. Très souvent ce sont des œuvres du cinéma canadien qui frisent la médiocrité et qui sont là, je suppose, à tort peut-être, pour combler le quota fixé par le CRTC. Chic, me dis-je mentalement, rassurant et enfin calmé, je vais pouvoir m’endormir lentement mais tranquillement. Les experts ont beau dire ce qu’ils veulent l’opération de faire appel à la télé, à priori, semble marcher.

Je commence à m’assoupir quand soudainement une explosion se fait entendre. Sur le coup je sursaute. Les plombs ont sauté. Plus de courant. Je sors de ma torpeur. En fait, je comprends immédiatement, pour l’avoir déjà vécu, ce qu’il s’est passé. Un écureuil qui lui aussi devait souffrir, tout comme moi, d’insomnie est allé se balader le long d’un fil électrique et, par mégarde ou excès de curiosité, s’est fait électrocuter par un transformateur. Comme quoi l’insomnie peut vous réserver des surprises. Je n’ai pas envie de finir comme ce rongeur. Silencieusement je ronge mon frein tout en maudissant cette nuit de vacarme.

Cette panne de courant finit par se révéler être un mal pour un bien. Obscurité totale. Condition propice pour un bon sommeil. Épuisé, je tente de clore mes paupières qui en éprouvent un grand besoin.

Aussitôt fait, la télé se remet en marche. J’avais oublié de l’éteindre. De toute évidence Morphée n’a pas l’intention de m’ouvrir ses bras. Je dois faire avec, comme on dit communément. De plus les ouvriers, venus réparer le transformateur, ont décidé, à deux heures du matin, d’engager une conversation très animée sur les bienfaits des changements proposés au régime fiscal par le gouvernement fédéral. Ils se croient chez eux. Je ne me sens plus chez moi. Je n’en peux plus. J’implore le Ciel pour qu’il envoie quelqu’un à ma rescousse. Après un moment j’écoute de nouveau avec l’espoir que ces messieurs aient achevé leurs travaux. Il n’en est rien. La discussion depuis est passée de la scène fédérale à la scène provinciale. Il est maintenant question du bien-fondé du projet de barrage hydroélectrique du site C sur le lit de la rivière de la Paix en Colombie-Britannique. À les entendre je me dis qu’ils n’ont pas dû voter pour le parti Vert aux dernières élections provinciales.

Au fond de moi, alors que la nuit est bien avancée, désespéré de ne pouvoir trouver le sommeil, je peste contre tout : les syndicats aussi bien que le patronat. J’en veux aux riches, aux politiciens, aux automobilistes, aux écologistes, aux fachos, aux bien-pensants, aux médias, qu’ils soient sociaux ou sociables, aux religieux, mais pas aux athées j’admets sans zozoter.

Fou de rage, abattu, à bout, je finis par m’endormir. Pas pour longtemps. J’ouvre les yeux. Je viens de rêver que Trumpipi, l’apôtre de l’apocalypse, s’est acoquiné avec les démocrates au détriment de ses faux amis républicains. Après une pareille surprise il est quasiment impossible de me rendormir. J’ai l’impression qu’un missile nord-coréen vient de me tomber sur la tête.

Il est maintenant cinq heures, Vancouver s’éveille et, contrairement à Jacques Dutronc, j’ai vraiment sommeil.