L’art documentaire à la French French

Guillaume, l’un des Six Portraits XL d’Alain Cavalier. | Photo de DOXA Festival

Du 3 au 13 mai prochains, les amateurs de cinéma auront l’occasion de se rendre à la 17e édition du festival du film documentaire DOXA à Vancouver. L’originalité du film documentaire français sera une nouvelle fois mis à l’honneur avec la 4e édition du programme French French.

Thierry Garrel, chevalier des Arts et des Lettres et ancien directeur des documentaires d’Arte pendant plus de vingt ans, rappelle que le volet French French est né « de la demande de Dorothy Woodend, ancienne directrice du festival DOXA, suite à des réflexions sur l’état du documentaire mondial actuel ». En effet, le commissaire du programme ajoute que le volet français a pour objectif « d’illustrer ce qu’est un cinéma d’auteurs, porté par des écritures extrêmement singulières, et qui à chaque fois sont adaptées à l’expérience qu’elles cherchent à faire partager ».

Cette année encore, le programme français se divisera en deux volets. Le premier sera consacré à la rétrospective du cinéaste Alain Cavalier, couronné à Cannes en 1986. Le public vancouvérois assistera à la première confrontation entre six de ses Portraits réalisés il y a trente ans et ses Six Portraits XL, composés et montés en 2017. De l’autre côté, French French présentera cinq nouvelles œuvres, toutes réalisées par des femmes talentueuses, et qui traitent l’approche du portrait à leur manière.

Considéré comme l’art de l’intérêt pour l’autre, le film documentaire place l’amour du prochain au cœur de sa fonction. Sous cet œil, Thierry Garrel souligne que « la motivation de chaque cinéaste de French French a été fondée par le sentiment d’appartenir à la même espèce humaine et c’est cette même émotion qui touche ceux qui regardent ces documentaires ».

La joie de filmer la vie

Alain Cavalier se dit « ravi » d’avoir été sélectionné pour French French. Par ailleurs, tous ses documentaires portraits ont été réalisés dans les rues de Paris. Le réalisateur déclare : « D’une certaine manière, Paris se déplace au Canada, puis cette gymnastique intellectuelle des sous-titres avec l’anglais, c’est magnifique ». Fort du succès lié à la projection de son film Le Paradis en 2015, les organisateurs de DOXA ont souhaité continuer à montrer les œuvres récentes du cinéaste.

C’est il y a trente ans que le réalisateur décide de quitter le cinéma de fiction pour passer au film documentaire, puis au journal poétique, avec le désir de « filmer la vraie vie formidable, prise en direct ». Ainsi, Alain Cavalier réalise une collection de 24 portraits de femmes seules au travail, exerçant des métiers en voie de disparition, dans des documentaires de 13 minutes tournés en une seule journée. Le cinéaste se concentre sur le visage, les mains et les outils de ces femmes tout en leur posant des questions très personnelles. Leur vie intime se confond subtilement avec le travail. French French présentera les portraits de La Fleuriste, La Damelavabo, L’Orangère, La Fileuse, La Trempeuse et La Matelassière.

Puis, le réalisateur a monté la série de Six Portraits XL, de 52 minutes chacun, consacrés à six de ses proches, illustres ou inconnus. Le cinéaste les a filmés seul avec sa caméra, au plus près mais aussi sur la durée, certains sur une décennie, afin de rendre compte « du trajet de gens qui racontaient une histoire ». Ainsi, il n’y a plus de différence entre son métier de « filmeur » et sa vie.

En plus de ces portraits, cinq nouveaux films seront présentés par French French cette année.

L’hommage au film documentaire féminin

Soucieux de l’équilibre des genres, Thierry Garrel affirme que « les œuvres documentaires les plus créatives de ces vingt dernières années sont réalisées par des femmes ». Toutes les réalisatrices sont « honorées et impatientes de se manifester au public de Vancouver ». Pour certaines, leur film sera une première nord-américaine ou mondiale.

La cinéaste Ruth Zylberman, réalisatrice du documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xe, animera un cours de maître consacré « à la manière dont le cinéma peut travailler, en montrant et en parlant, les questions du temps, de la trace et de la mémoire ».

La notion de temps joue un rôle essentiel dans chaque portrait présenté. Marie Dumora présente les différentes étapes de la vie de Belinda à l’âge de 9, 16 et 24 ans. Avec son film Dernières nouvelles du cosmos, la cinéaste Julie Bertuccelli exprime le temps passé dans l’intimité d’une jeune femme autiste aux talents artistiques exceptionnels. Les films Maternité Secrète, de Sophie Bredier, et Les Enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xe de Ruth Zilberman, sont des voyages dans le temps et dans des lieux singuliers qui évoquent des souvenirs parfois joyeux mais souvent douloureux et bouleversants. Puis, Michèle Smolkin, réalisatrice du film Si tu as faim, chante, si tu as mal, ris, participe au devoir de mémoire en évoquant l’histoire européenne du 20e siècle par le portrait de son oncle qui a vécu jusqu’à l’âge de 103 ans.

L’histoire de Belinda, film de Marie Dumora. | Photo de DOXA Festival

Enfin, comme le souligne la cinéaste Marie Dumora, « le film documentaire permet de connaître l’autre, vivre une histoire qui n’est pas la sienne, connaître un monde, en percevoir la beauté, l’émotion ». Pour elle, ce sont « des passerelles tendues entre les hommes ».

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D’où vient l’expression French French ?
L’appellation French French tire son origine d’une anecdote plutôt amusante : les Français entendent souvent au Canada, lorsqu’on les interroge sur leur nationalité : « But are you French French ? », afin de confirmer la provenance de France et non du Québec. Aujourd’hui, l’expression représente une ouverture à l’art documentaire français et international. Sans connotation nationaliste, c’est la dimension universelle qui est mise en avant.