En mai, mets-en

May I? Of course you may. Même en anglais, en mai fais ce qui te plaît.

J’attends donc toujours le mois de mai avec impatience pour enfin faire ce qui me plaît. Les autres mois ne m’y autorisent pas. Ils ont d’autres tracas et ne se préoccupent pas, sinon peu, de mon bien-être. Alors en mai que fais-je en dehors d’apprendre le solfège ? Pour tout vous dire, en mai j’ai mes manies.

En mai j’aime taquiner le saumon à défaut du goujon lorsque je pêche en territoire britanno-colombien quand le temps me le permet. Un loisir oisif pour tout pêcheur à la recherche du poisson perdu. Je passe pour une andouille si je rentre bredouille. Certains de mes amis me reprochent cette activité qu’ils considèrent cruelle. Jésus de Nazareth a pourtant fait des merveilles avec ces vertébrés aquatiques. À ce que je sache, pêcher n’est pas pécher sinon nous aurions des vendredis et des mois d’avril sans poisson. Mai s’avère être un mois propice pour la pêche que rien n’arrête. Il suffit de mordre à l’hameçon une bonne fois pour toutes et de ne pas lâcher prise.

« Les cerisiers japonais hauts en couleur forment une haie d’honneur pour célébrer mon mariage avec dame nature. » | Photo par Christopher Porter

En mai, le 1er, bien que retraité, je célèbre la fête des travailleurs car je n’ai pas envie d’attendre le premier lundi de septembre pour le faire. Je pourrais en effet d’ici cette date me retrouver au chômage. Autant donc chômer le 1er mai, comme la plupart des gens le font dans les pays où l’on ne considère pas l’Internationale socialiste comme l’ennemi numéro un du peuple. Le Canada et les États-Unis, par esprit de contradiction j’imagine et sans doute horrifiés par la possibilité d’un bolchévisme latent, ont décidé de faire bande à part en instaurant la fête du travail, une journée qui ne possède aucune signification politique particulière; donc une fête pour la forme mais qui ne correspond à rien. De fait, le 1er mai l’Amérique du Nord à son corps dépendant (et non défendant) se défile.

En mai je sors ma bicyclette pour essayer de me remettre en forme. Après avoir passé l’hiver à me vautrer à longueur de journée, emmitouflé sur mon divan en attendant la venue de jours meilleurs, le temps de me dégourdir les jambes s’annonce enfin. Je peux, en baissant la tête et relevant le derrière, rêver d’être dans le peloton de tête du Giro d’Italie avec l’espoir de remporter une médaille à l’arrivée tout en m’assurant de ne pas être contrôlé positif.

En mai, tradition héritée de ma grand-mère, je cueille le muguet pour me porter bonheur. J’en ai bien besoin car chez moi, manque de chance, je ne peux toucher du bois; tous mes meubles sont en fer, en pierre ou en verre (et contre tous). Jusqu’à présent, c’est dommage, aucun résultat probant; j’attends toujours de gagner le gros lot. Quelqu’un aux cieux m’en veut de ne pas croire en Dieu. Je ne tiens pas spécialement à devenir riche mais j’aimerais bien m’offrir des meubles en bois.

En mai j’astique mon barbecue (BBQ pour les intimes) en prévision des jours ensoleillés. Ce rituel nettoyage printanier me permet de façonner de bonnes grillades pour le plus grand plaisir de mes invités carnivores tout en sachant que mes voisins, végétariens invétérés, n’apprécieront pas mon enthousiasme débordant pour la cuisine en plein air. Au risque de les incommoder je ne suis pas prêt à les accommoder. Mes saucisses grillées ont priorité.

En mai, le mois de Marie, je prie ardemment pour la venue d’un nouveau messie non argentin capable de mettre fin à tous nos ennuis. Mes prières n’ont jusqu’alors pas encore abouti mais je ne désespère pas; tous ces leaders politiques qui nous veulent du mal, un jour ou l’autre rendront l’âme (comme s’ils en avaient). Le plus tôt sera le mieux.

En mai, finalement, j’aime, ou plutôt, j’adore me promener tranquillement dans les rues de mon quartier où les cerisiers japonais hauts en couleur forment une haie d’honneur pour célébrer mon mariage avec dame nature. Pour peu qu’une fine brise se mêle de la partie, me voilà dès lors comblé et émerveillé par la lente et douce tombée des milliers de pétales qui, pareils à des flocons de neige, viennent joncher le sol pour former un tapis que je foule avec plaisir et nonchalance. Quelle chance. Je me crois à Cannes où l’on va me remettre la Palme d’or du plus beau rêve non réalisé.

Mon lyrisme prend le bord. Il me donne la nausée. Autant conclure : en mai je vous promets que si jamais je me mets, en fin gourmet, à parler de mets tout en humant son fumet, j’aurais atteint, entre guillemets, un sommet. Voilà, c’est fait, j’ai fait ce qui me plaît. Bon mois de mai.