La lumière des écrans à l’assaut des yeux

Ordinateur, tablettes, smartphones… Aujourd’hui, rares sont ceux qui passent une journée sans être en contact avec l’un des ces appareils. En janvier 2017, 78 % de la population adulte canadienne utilisait un ordinateur ou une tablette électronique quotidiennement, pour en moyenne cinq heures et quarante-neuf minutes. Et nos yeux, dans tout ça ?

Les appareils électroniques prennent de plus en plus de place dans notre quotidien, au travail comme dans la vie personnelle. Si la télévision a été détrônée par les ordinateurs, puis les smartphones, les mêmes questions persistent : cette utilisation récente et intensive des appareils électroniques est-elle dangereuse pour notre santé ? D’après les professionnels de la santé oculaire, la réponse est oui.

La lumière des écrans, l’ennemie de nos yeux ?

Un rai de lumière se décompose selon un spectre bien défini, tel un arc-en-ciel. Et juste derrière les rayons ultraviolets, dont les dangers sont bien connus, se trouve la lumière bleue.

Le docteur Justin Asgarpour, optométriste à Vancouver, explique la particularité de cette lumière bleue : « La lumière bleue est ce qu’on appelle une lumière visible, car les photorécepteurs de nos yeux perçoivent cette lumière, explique-t-il. Les longueurs d’ondes de la lumière bleue se situent entre 400 et 500 nanomètres, ce qui en fait une Haute Énergie Visible. Plus l’énergie est haute, plus elle est violente ».

Les muscles les plus actifs du corps se trouvent dans les yeux.

Cette lumière bleue est naturellement présente dans la lumière émise par le soleil. Sa particularité est qu’elle cause « l’inhibition de la mélatonine, qui est l’hormone du sommeil », souligne le Dr Asgarpour. Autrement dit, la lumière bleue est ce qui nous tient éveillés au cours de la journée.

Le problème est que, de nos jours, « avec les surfaces digitales et les écrans LED ou LCD, continue l’expert, nous sommes de plus en plus exposés à la lumière bleue ». Ce qui finit par nuire à notre cycle de sommeil.

Et d’autres symptômes sont observés. David Watson, professeur en chef au BC College of Optics, confirme que « beaucoup de gens se plaignent de problèmes physiques tels que maux de tête, yeux secs, fatigue oculaire, vision floue, maux de cou et de dos. »

Si ces symptômes sont constatés sur le court terme, de récentes études suggèrent que la lumière bleue attaque l’œil plus violemment : « Certaines études montrent que la lumière bleue a un effet perturbateur sur le tissu rétinien dans le fond de l’œil, confie le Dr Asgarpour, ce qui est potentiellement lié à la dégénérescence maculaire ». Le professeur Watson ajoute que la dégénérescence maculaire est la « première cause de cécité en Amérique du Nord. »

S’éloigner des écrans : une solution peu réaliste

Si le premier réflexe serait de dire stop aux écrans, ce n’est pas aussi simple. Et pour preuve : entre 1998 et 2010, la proportion de Canadiens utilisant un ordinateur en dehors du cadre professionnel est passée de 5 % à 24 % de la population totale.

Le Dr Asgarpour en est d’ailleurs conscient : « Quand je fais des recommandations, j’essaie d’être aussi réaliste que possible, avoue-t-il. Si je dis à quelqu’un de ne pas utiliser l’ordinateur après six heures du soir… je sais que ça n’arrivera pas. »

Les professionnels de l’industrie l’ont bien compris, et en ont profité pour développer des produits visant à réduire la quantité de lumière bleue pénétrant dans l’œil. Sous forme de pellicule ou bien directement incorporé dans le verre, un filtre a été développé pour créer des lunettes destinées à l’usage des appareils digitaux.

Le Professeur David Watson salue également les efforts faits par les fabricants de tablettes et téléphones, qui « ont compris le message et intégré des modes nocturnes et filtres bleus que l’on peut activer dans les paramètres de nos appareils. » Cela dit, il regrette qu’on n’apprenne pas à décrocher un peu des écrans : « Je pense que nous devons apprendre à nos enfants que passer trop d’heures sur un appareil digital n’est pas bon. »

Les deux professionnels s’accordent sur une chose : l’importance de consulter un professionnel de la santé oculaire et de discuter de son utilisation des écrans, afin de connaître « les solutions disponibles », souligne le Pr Watson. Quant au Dr Asgarpour, il ajoute que « la première cause de la fatigue oculaire est l’absence d’une prescription à jour. » En effet, plus l’œil doit forcer pour rendre l’image claire, plus il se fatigue.

Un avenir incertain

Il est important de noter que les études parues jusqu’à ce jour sont très récentes, et que l’on commence à peine à comprendre les effets de la lumière bleue sur le corps humain. On s’attend à ce que les symptômes soient plus visibles chez les nouvelles générations, exposées bien plus jeunes aux écrans.

« Les yeux des enfants ne sont entièrement développés qu’après l’âge de dix ans, avance David Watson, alors ils sont plus exposés aux risques. » Il évoque également une étude réalisée par le National Eye Institute, indiquant que de plus en plus d’enfants sont atteints de myopie (difficulté à voir de loin). Un phénomène qui peut être dû au fait de passer plus de temps sur les ordinateurs, et donc à faire travailler ses yeux de près.

Justin Asgarpour évoque même, au-delà d’un problème de santé, un problème économique. À son sens, assez de recherches concluent que l’utilisation prononcée des écrans peut mener à une dégénérescence maculaire, qui est « probablement l’une des pathologies les plus traitées de nos jours. (…) Cela a un impact économique massif. »

Si on ne peut empêcher les écrans de s’inviter dans notre salon, notre bureau, et même notre main, il est possible de s’en protéger et de limiter l’impact de leur lumière sur nos yeux. Les professionnels de santé, qu’ils soient ophtalmologues, optométristes, ou opticiens, s’accordent sur une chose : des solutions de prévention sont disponibles pour toutes et tous.