Une appartenance identitaire plurielle en deux actes

Acte I

Je me souviens d’un atterrissage en douceur, mais trois heures d’attente par la suite pour le passage à la douane à l’aéroport de Vancouver (YVR). Mon vol est arrivé durant l’après-midi mais on se sentait comme en soirée dans la salle d’attente. Elle était pleine à craquer et les bagages remplissaient les allées. Les valises avaient des tailles, des formes et des couleurs différentes – des bagages d’espoir, de peur, d’excitation et de fardeau. Le passé et l’avenir approvisionnaient les nécessités du présent.

Les jeunes professionnels ou étudiants qui voyageaient en solo comme moi étaient assis tranquillement, le regard tantôt fixé sur les six fenêtres disponibles, tantôt sur la file qui s’étendait au-delà de la salle. Nous nous tenions debout ou assis sur le tapis, tout en poussant nos bagages plus loin chaque fois que la file d’attente avançait. Des familles de cinq ou six personnes s’entassaient assises dans les recoins. Les adultes avaient l’air épuisés et les bébés dormaient ou pleuraient. J’ai perdu le compte du nombre de couvertures de passeports différents que j’ai vues.

Je regardais les gens avec qui je partageais la salle d’attente et je me demandais ce qui les avait amenés ici. Nous avions tous débarqué pour la première fois au Canada et devions maintenant attendre une courte entrevue pour que nos documents d’immigration soient traités. J’ai cherché des mots d’espoir, de peur, d’excitation, de débuts et de fins derrière ces langues que je ne comprenais pas.

Enfin, un agent a ouvert une fenêtre supplémentaire et a appelé les familles avec enfants en bas âge et aînés à se manifester. Mon tour venu, l’entrevue s’est bien déroulée – parce que l’anglais n’était pas un problème pour moi et parce que ma lettre d’acceptation à une université canadienne renommée était presque une valeur sûre – et l’agent m’a vite remis un permis d’étudiant.

Je m’inquiétais pour ceux qui n’avaient pas le même privilège. Je me suis demandé combien de temps ils devraient attendre et comment ils pourraient s’expliquer lorsqu’ interrogés. Nombre d’entre eux avaient survolé un océan – sinon la moitié du monde. Après une longue journée de voyage ils devaient choisir les souvenirs à abandonner et quelle partie d’eux-mêmes à déclarer à la frontière.

Je suis sortie de l’aéroport sous un beau ciel ensoleillé. La brise d’août semblait fraîche sur ma peau tropicale. C’était bizarre, mais j’ai été soulagée.

Acte II

Beaucoup d’histoires d’immigrants que je lis partagent des thèmes communs : liberté, barrières linguistiques ou culturelles, vie entre deux mondes, expériences d’exclusion et de discrimination, création de soi, difficultés socio-économiques, souvenirs d’appartenance et de nostalgie. Bien sûr, il existe de nombreux rebondissements, en fonction de différents paramètres et contextes.

À la découverte du monde.

Dans une certaine mesure, je peux comprendre certains, voire tous ces phénomènes. Choc culturel – oui. Sentiment de ne pas appartenir, tout le temps. Mais tous mes doutes et toutes mes inquiétudes ont rapidement été vus sous un autre jour après avoir entendu prononcer une reconnaissance territoriale pour la première fois. Le premier jour d’école, j’ai appris que j’étais sur le territoire traditionnel, ancestral et non encore cédé du peuple Musqueam. Je ne comprenais pas très bien ce que cela voulait dire lors de la cérémonie d’ouverture et cela m’a décontenancée de ne pas en savoir plus sur l’histoire coloniale de ce qui est maintenant le Canada.

Au cours des deux dernières années depuis mon arrivée ici, j’ai entendu prononcer des éloges à propos de la scène culinaire et artistique multiculturelle de Vancouver. Parmi les discours publics, il n’a pas été difficile de trouver le slogan du pluralisme et de la politesse dont le Canada est si fier. Mais il m’a fallu beaucoup de temps et beaucoup de travail pour savoir ce que cela signifie VRAIMENT pour moi d’être ici, en tant qu’individu non invité de Taïwan. Même si je me questionne toujours sur le sens de l’appartenance, au fil du temps, je me suis rendu compte que l’appartenance n’est jamais un état d’esprit figé dans le temps et détaché des terres et des peuples avec lesquels nous sommes en contact.

Traduction par Barry Brisebois