Lettre au chef

Suite à la victoire d’Erin O’Toole, nouveau chef du Parti conservateur du Canada, je me suis senti obligé, par courtoisie, bien que nous n’ayons rien en commun, de lui envoyer ce petit mot d’encouragement :

Cher chef

Tout d’abord, des félicitations s’imposent. Vous avez réussi assez astucieusement votre pari de devenir le nouveau chef du Parti conservateur du Canada. Soyons francs : ce ne fut pas une très grosse surprise. Votre seul véritable rival, Peter MacKay, bien que légèrement favori et aux idées plus libérales que les vôtres, ne faisait pas vraiment l’unanimité au sein de votre parti très conservateur. Donc bravo. Vous êtes dorénavant le nouveau chef de l’opposition.

La tâche à laquelle vous faites face désormais n’est pas des plus faciles. Votre parti n’attend de vous qu’une chose : détrôner le Parti libéral de Justin Trudeau. Pour ce faire il va falloir vous secouer car la partie n’est pas gagnée d’avance. Votre obstacle majeur, vous l’admettrez, n’est pas le premier ministre actuel. Celui-ci serait plutôt votre principal allié. Allant de bévue en bévue, (dois-je toutes les citer ?) Justin Trudeau engendre un tel mécontentement et une insatisfaction si profonde que n’importe quel personnage politique un tant soit peu futé ferait une bouchée du fils à papa P.E.T.

Il n’en tient donc qu’à vous de prouver votre valeur et de mériter ce poste tant convoité que seule une petite poignée d’individus ont manifesté le besoin de briguer (excusez au passage le sarcasme dont je me suis permis ici de faire preuve). Pour commencer, vous avez besoin d’établir et d’assurer votre autorité. Rude tâche certes mais en tant qu’ancien militaire vous êtes, j’en suis sûr, capable de mettre votre parti au pas et de mâter toute rébellion.

Rencontre avec Erin O’Toole à droite | Photo du bureau d’Andrew Sheer

Vous allez ainsi vous attaquer à une besogne fort ingrate mais combien essentielle qui consiste à rassembler et réconcilier les partisans déçus de Peter MacKay, représentant l’aile gauche du parti, avec les conservateurs d’une droite dure et intransigeante, apôtres d’une politique sociale archaïque dont l’idéologie se manifeste par une opposition farouche contre l’avortement et de surcroît anti-LGBT avec ou sans Q. Votre prédécesseur, Andrew Scheer, en sait quelque chose. Il a fait les frais de cette évidente division au sein de votre parti. Un sérieux dilemme, un vrai casse-tête qui devrait vous faire perdre encore quelques cheveux et vous obliger à passer de nombreuses nuits blanches. Prenez garde, votre extrême droite peut vous quitter au profit d’un Maxime Bernier qui, du haut de son petit parti, vous surveille du coin de l’œil et vous attend au tournant.

Autre sujet de préoccupation pour atteindre votre nouvel objectif : votre image. Cela à priori peut paraître anodin, voire même indigne d’y prêter attention ou d’en discuter. Détrompez-vous. L’apparence compte pour beaucoup en politique. Justin Trudeau en est le meilleur exemple. Pour lui et ceux qui le manient, peu importe la substantifique moelle. Le « look », un des tremplins vers le succès, pèse lourd dans la balance électorale. Les médias visuels jouent là-dessus. Soignez donc votre apparence. Sachez inspirer. Inventez-vous une personnalité. Pensez à votre homonyme, Peter O’Toole, imaginez-vous en Laurence d’Arabie parti à la conquête du Moyen-Orient. Ou encore, songez à Popeye le marin, l’invincible, vantant les mérites des épinards bio. Surtout, évitez de vous faire passer pour Aladin un soir d’Halloween.

Si vous tenez à ce que l’on vous confie la destinée du pays ainsi que les clefs de l’État, je vous suggère d’étouffer certains de vos traits qui manquent d’attrait. Par exemple, comme à juste titre Peter Mackay vous l’a déjà reproché, évitez d’avoir l’air d’un homme en colère. Ne confondez pas rage et passion. À le faire vous perdez votre charme, un attribut que vous ne semblez pas posséder en abondance. Difficile de faire confiance à une personne en rogne et d’éprouver de la sympathie envers un individu rongé par la hargne. En somme : apprenez à séduire et les portes du paradis gouvernemental vous seront grandes ouvertes.

Sur ce, monsieur le nouveau chef du Parti conservateur du Canada, je vous souhaite bonne chance et, surtout, soyez fin prêt. Les libéraux sont assez retors pour vous tendre un piège en convoquant des élections immédiatement après le prochain discours du trône prévu pour septembre.

À ce stade-ci vos chances de devenir premier ministre sont minimes mais on ne sait jamais, un miracle peut survenir. Demandez à vos ouailles de l’extrême droite de votre parti d’intensifier leur prière si vous tenez tant à prendre le pouvoir. En attendant, j’ai mis un dollar de côté afin de miser sur vos chances de l’emporter. Comme je le disais : on ne sait jamais, un miracle n’est pas à exclure.

Signé : Un (pas si bon) ami qui vous veut du bien.

Robert Zajtmann

Erratum

Dans notre précédente édition du 18 août la chronique du Castor castré a été amputée par inattention. Nos lecteurs pourront retrouver l’intégralité du contenu de ce billet sur le site web du journal au lien suivant:

https://thelasource.com/fr/categorie/chronique/actives/le-castor-castre/

Toutes nos sincères excuses à notre cher Robert Zajtmann, l’auteur de cette chronique très appréciée.

La Rédaction