La logique, comme un gage de vérité, au service de la philosophie

Photo par John Moeses Bauan

L’Unesco a lancé en 2005 la Journée mondiale de la philosophie. Un temps de réflexion bienvenu dans un contexte difficile où les réactions sont parfois trop immédiates.

Nous nous sommes entretenus avec Nicolas Fillion, professeur assistant à l’université Simon Fraser. pour traiter de philosophie et de logique mathématique. Un duo original au premier abord mais finalement très naturel.

La Journée mondiale de la philosophie, menée par l’Unesco, s’annonce pour le 19 novembre. Une célébration qui fait sens dans un contexte particulièrement anxiogène où les réflexions fusent à tort et à travers. La culture et plus particulièrement l’art de penser se posent en soutien intellectuel.

L’éclairage des mathématiques apporte ainsi un angle structurant à la philosophie. « Depuis l’époque de Pythagore (sixième siècle av. J.-C.) jusqu’à nos jours, la plupart des grands philosophes ont été fascinés par les mathématiques. D’autre part, plusieurs grands mathématiciens ont été de grands adeptes de la philosophie. Cette pollinisation croisée continue d’être d’une fécondité intellectuelle extraordinaire, menant aux questions les plus profondes portant sur la connaissance humaine », explique Nicolas Fillion.

Raison humaine et réflexion s’enrichissent mutuellement. Dans une certaine recherche de perfection.

« D’autre part, puisque les mathématiques constituent le fruit le plus remarquable de la raison humaine, la philosophie appliquée aux mathématiques peut aussi être conçue comme un moyen de réfléchir sur la nature de la connaissance humaine en examinant sa forme la plus belle et la plus parfaite », note encore le professeur.

Deux directions

Plusieurs, sans doute, se posent la question de l’utilité d’une philosophie appliquée aux mathématiques. Pour Nicolas Fillion, cette combinaison suit deux directions. « D’abord, la pensée philosophique a souvent joué un rôle essentiel au progrès des mathématiques, que ce soit au niveau des fondements de la discipline ou de sa relation aux autres activités humaines. Par exemple, prenons la géométrie : Aristote a élaboré la méthode qui a permis à Euclide d’élever les mathématiques au statut de science axiomatique; Descartes a déployé sa méthode sceptique afin de réinventer la géométrie suivant sa méthode analytique; Frege a introduit de nouvelles méthodes logiques au sein des fondements des mathématiques afin de questionner les nouvelles théories mathématiques de l’époque, telles que l’analyse des nombres complexes et la géométrie non-euclidienne. »

La philosophie s’est nourrie en parallèle des mathématiques pour ses propres méthodes.

« C’est ainsi que l’on trouvera que la réflexion sur les mathématiques a joué un rôle essentiel pour la plupart des philosophes les plus célèbres, tels que Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, Kant, Mill, Husserl, et bien d’autres, alors qu’ils élaboraient leurs grands systèmes d’idées, » ajoute le professeur.

Un impact pour nos sociétés modernes

Une fois ces principes posés, il s’agit aussi de savoir si la philosophie appliquée aux mathématiques peut avoir une incidence sur la vie présente. Qu’en est-il de la pacification des relations qui importe tant aujourd’hui ?

Nicolas Fillion nous apporte son point de vue : « Je suis un de ceux qui croient que l’étude philosophique des mathématiques est un moyen remarquable de pacifier les relations humaines, que ce soit avec autrui ou avec soi-même. Ce n’est pas un thème si commun de nos jours, mais ça l’a longtemps été. Par exemple, dans la France du 17e siècle, des penseurs d’envergure tels que Pascal, Arnauld et Nicole étaient de fervents défenseurs de l’idée que l’étude philosophique des mathématiques était le moyen par excellence de développer l’amour de la vérité, une aptitude à discerner le vrai du faux, une attitude humble et attentive, ainsi qu’un sens de la justice ».

Nicolas Fillion, professeur assistant à l’université Simon Fraser. | Photo de SFU

Mathématiques et philosophie sont intimement liées. La logique est ainsi un gage de vérité, comme le confirme Nicolas Fillion. « La nature même des mathématiques fait en sorte qu’on ne peut se mentir à soi-même en leur faisant face, de sorte qu’elle nous apprend comment réagir de manière responsable face à notre incertitude et manque de connaissance », affirme-t-il.

L’intelligence artificielle concernée

La philosophie et la logique pourraient trouver un essor nouveau avec les avancées de l’intelligence artificielle. C’est l’avis de Nicolas Fillion. « Bien qu’elle soit moins bien connue, je crois que l’analyse logique des concepts moraux et légaux (techniquement, « déontique ») initiée dans les années 1960, deviendra de plus en plus importante avec l’essor de l’intelligence artificielle», explique le professeur.

Il précise que les méthodes des philosophes sont à la base des systèmes modernes en informatique, en linguistique ou encore en économie. Des domaines d’activités qui ont pris une part centrale dans nos sociétés actuelles. Et qui questionnent aussi sur le sens à donner en matière d’éthique. « Il n’est probablement pas exagéré de dire que le monde change maintenant plus vite qu’à toute autre époque », évoque Nicolas Fillion. « Mais la philosophie est une discipline plutôt lente, qui demande que l’on s’arrête et que l’on prenne du recul. Par contre, bien que la philosophie fasse du progrès comme toute autre discipline, il y a quelque chose d’universel et d’intemporel dans la réflexion philosophique. On peut alors s’attendre à ce que la demande pour la philosophie continue de s’intensifier afin que nous puissions confronter les problèmes actuels et futurs. »

Et c’est bien tout le mal que l’on souhaite à la philosophie, aux mathématiques et à toute science qui a fait grandir l’esprit de l’humanité.

Journée mondiale de la philosophie le 19 novembre. Toutes les informations sont à retrouver sur le site de l’Unesco : www.fr.unesco.org/commemorations/philosophyday