Un petit frère pour Stanley Park

Imaginez : avril 1886, Gastown vient de disparaître en fumée, autant dire la quasi-totalité de la ville. A cette époque, Vancouver est encore entourée de forêts à perte de vue. Les membres du conseil municipal se réunissent sous une tente. Et, au milieu des ruines, à l’heure de reconstruire, ils décident à l’unanimité de consacrer quelque 400 hectares de bord de mer à l’aménagement d’un immense parc ! Quelle clairvoyance ! Quelle intuition ! Et quel courage ! s’enthousiasme John Davis, initiateur de la pétition “Parkland is Sustainable and Supportable”. Et quelle évidence pourrait-on dire aujourd’hui sur l’air de “mais-oui-mais-c’est-bien-sûr” tant le Stanley Park est devenu le symbole incontesté de la ville. Et son essentiel poumon, aussi.

Et si on s’offrait le même genre de coup de génie, aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard, histoire d’entretenir nos réserves d’admiration (et d’air pur) pour dans cent ans? Folie ! Utopie ! Élucubrations ! Dites-vous ? Pas si sûr.

Il se trouve que l’un des tout derniers terrains qui appartiennent encore à la Ville – c’est-à-dire à ses habitants, pardon d’insister – est, au bord de l’eau, sur Southeast False Creek, entre le pont Cambie et Science World, une vingtaine d’hectares en mal de destin, jachère industrielle, terre fertile en polémiques. La question est très simple. Que fait-on de cet espace vacant ? Est-ce qu’on construit des logements – et on finit d’étouffer le quartier qui est un des plus déficients en espaces verts de la ville ? Est-ce qu’on y met une raffinerie de pétrole? Est-ce qu’on y plante des arbres ? Et, tiens, si on demandait leur avis aux gens qui vivent dans les alentours ? ! Non que l’Hôtel de Ville ne se soit déjà répandu en consultations publiques, en réunions d’information et autres études de faisabilité. John Davis regrette seulement que le choix proposé à la population n’en soit pas un. En d’autres termes, merci d’approuver notre projet de lotissements pour cinq mille nouveaux habitants. Voulez-vous donner votre avis sur la couleur du carrelage ?

Il s’agit de substituer des préoccupations légitimes à court terme au profit d’une vision globale, à long terme. Il faut de nouveaux logements, très bien, construisons sur des terrains privés. Mais il reste une dernière chance d’offrir à la ville un nouveau grand parc citadin. Ne la laissons pas passer. C’est tout. résume Marilyn Bell qui se bat farouchement pour ce projet depuis quatre ans, aux côtés de John Davis.

On pourrait balayer tout ça d’un revers de manche en sortant d’un chapeau quelques chiffres définitifs pour faire taire les idéalistes. Sauf qu’il semble, vu l’état de pollution du terrain et le coût de son assainissement avant même de penser initier la moindre construction, que d’un point de vue strictement budgétaire, la solution d’une forêt replantée soit encore la plus économique.

Alors qu’est-ce qui coince? Pourquoi l’Hôtel de ville semble-t-il si décidé à ignorer la proposition, alors que son propre bureau des Parcs et des Loisirs s’est rallié à la cause ? Alors que David Suzuki, lui même, soutenant l’idée d’une forêt urbaine, qualifie le projet immobilier d’aberration écologique. Alors enfin et surtout. que ce parc un peu sauvage avec ses sentiers et sa petite plage de sable où accosteraient les kayaks, les habitants en rêvent!

Dans une récente entrevue, l’architecte Arthur Erickson déclarait : Les idées nouvelles menacent le statu quo et les bureaucrates préservent le status quo. C’est leur métier*. John Davis n’est pas prêt à désarmer dans la guerre des nerfs bureaucratique. S’il faut porter le débat sur le terrain politique pour se faire entendre à quelques mois des prochaines élections, alors on en fera une question politique lâche-t-il dans un sourire doux mais déterminé. Nous irons jusqu’au bout” Et de cela il a l’habitude. Ce n’est pas sans mal non plus qu’il a mené à bien la préservation des maisons qui entourent la sienne sur la 10e Avenue, la première classée et protégée après restauration en 1982. Ce qu’il y a de bien avec cet homme-là, c’est que tout le monde peut se promener dans ses rêves: si vous n’y croyez pas, allez donc faire un tour sur la 10e Avenue, à l’est de Cambie entre Yukon et Columbia Street, où se cache un adorable petit village réinventé. Et pendant que vous y êtes, profitez-en pour signer sa pétition!

* in “two chairs”. mai 1999