le Jeudi 21 août 2025
le Mardi 15 juillet 2025 1:28 Chronique

Ô Canada

Ô Canada
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Ce qui suit est une tardive déclaration d’amour

Le 1er juillet n’est pas la seule journée lors de laquelle nous pouvons et devons célébrer la fête du Canada. Tous les jours du calendrier devraient être raison de réjouissance, de reconnaissance.

Il n’y a pas si longtemps de cela je ne parlais pas ainsi. L’arrivée de Trump à la Maison Blanche a bouleversé mes sentiments envers le pays qui a eu la gentillesse de m’accueillir les bras ouverts, il y a plus de cinquante ans de cela. Mon élan patriotique a mis du temps à se manifester. Depuis les déclarations insultantes, humiliantes, révoltantes du président américain, j’avoue n’avoir jamais été aussi fier d’être Canadien.

À me relire je n’en crois pas mes yeux. Jamais je n’aurais pu m’imaginer faire une pareille déclaration d’amour au Canada. Une marque de respect, d’admiration et d’éloges entièrement mérités. J’en rougis. De timidité j’aimerais pouvoir me cacher derrière une feuille d’érable ou demander refuge auprès d’un castor caché au fond des bois. J’ai toujours pris le pays pour acquis. Trop souvent je l’ai ignoré, voire négligé. J’estimais que ce que j’avais, ce que je possédais, on me le devait, j’y avais droit. Une forme de suffisance déplorable mêlée d’ingratitude. En fait je ne portais pas le Canada en grande estime, je préférais l’ignorer, m’en désintéresser. Le pays assurément méritait mieux.

« À mes yeux le Canada n’a qu’une seule carence : celle de ne pas être une république. »

Bien que le nom soit masculin j’aurais plutôt tendance à imaginer le Canada comme une grande dame fort distinguée au charme irrésistible. Son charme elle le doit à sa simplicité, à sa modestie, à sa grandeur morale et d’esprit, à son désir de justice, à sa vocation pacifique, à ses récents efforts de réconciliation destinés à rectifier une attitude et un passé peu honorables envers les peuples des Premières Nations, à sa volonté d’inclusion, à son refus de tempérer avec les institutions, à son sens de l’hospitalité, à sa recherche d’une éthique sans faille, à sa contribution au bien-être du monde. Face à cette abondance de belles manières d’être, comment lui résister ? Comment ne pas s’en éprendre, s’en amouracher ? J’ai donc épousé le Canada pour le meilleur et pour le pire.

Mon engouement à son égard, mes débordements sentimentaux, méritent toutefois quelques bémols. Le (ou la, qu’importe le genre) Canada n’est pas sans défauts, ni reproches selon ses détracteurs. Son excès de gentillesse à laquelle les Américains (et pas qu’eux) aiment s’en prendre et dont ils se moquent, son semblant d’insécurité, sa dépendance à l’égard de son voisin du Sud, son soi-disant manque d’audace, peuvent lui porter préjudice à l’occasion. Je ne partage pas la sévérité de ces opinions. À mes yeux le Canada n’a qu’une seule carence : celle de ne pas être une république. Et oui ! La perfection n’est pas de ce monde : la mariée ne sera jamais assez belle.

Parlant de la mariée, permettez-moi cette petite digression, histoire de reprendre mon souffle après tant d’effusions émotives, avant de revenir à ma dulcinée. Qu’avez-vous pensé du mariage de Jeff Bezos et Lauren Sanchez à Venise il y a à peine deux semaines de cela ? En voyant ce déluge d’extravagance je me suis dit « qu’est-ce qu’ils font là tous ces bozos ? » La crème de la crème des personnalités de toutes sortes, ceux qui s’en sortent, furent invités. Tout le gratin, sauf le dauphinois, était donc présent, au désarroi d’une partie des Vénitiens et Vénitiennes qui finirent par tirer les persiennes.

Quittons Venise. Retour au pays où il fait bon vivre. Revenons à ma déclaration d’amour au Canada, ma terre d’accueil (et non celle de mes aïeux), patrie de ma progéniture, foyer de mon foyer. Une précision ici s’impose : mon sentiment envers le Canada émane d’un patriotisme mesuré et non d’un nationalisme débridé car je tiens à faire la distinction entre les deux. Mon amour pour le Canada se manifeste de manière discrète; pas de chant patriotique, pas de visage peint aux couleurs du pays, pas de drapeau ni d’affiche sur ma pelouse devant chez moi, pas de manifestation criarde le 1er juillet, pas d’autocollants sur les pare-chocs de ma voiture. Les signes extérieurs de ma fascination sont absents. Au plus profond de moi, par contre, mon affection pour mon pays d’adoption s’en va grandissante; elle me fait chaud au cœur et m’émeut au plus haut point.

Du Canada, pour l’avoir découvert(e) et parcouru(e) de long en large et de haut en bas, je peux témoigner sans ambiguïté de sa beauté naturelle et de l’immensité de son territoire, de sa vitalité culturelle, artistique, scientifique et sportive. Du talent à revendre dans tous les coins du pays. Monsieur Trump, votre 51e état, il n’est pas là.

La France m’a vu naître, le Canada m’a fait renaître. Ô Canada, merci pour tout.