Oui, il est de retour. Il est revenu de son exil après un passage obligatoire au purgatoire où, chacun l’espère, il aura appris sa leçon. Pierre Poilievre a donc repris le chemin des écoliers en direction de la chambre des communes à Ottawa. Comme je ne suis pas méchant je ne dirai pas : « Qu’est-ce qu’on était bien sans lui ».
Après avoir perdu son siège de député lors de la dernière élection fédérale, le chef du Parti conservateur, et par conséquent chef de l’opposition, a retrouvé un semblant de dignité et de légitimité en se faisant élire récemment dans une circonscription de l’Alberta. Pour cela il doit remercier le brave député du coin, pas du tout dépité, qui a eu l’amabilité de se désister pour lui céder sa place. À sa place j’aurais fait de même. Comprenez bien : son acte de générosité ne peut pas être tout à fait gratuit. Une récompense devrait l’attendre au tournant.
Avec la reprise des hostilités au Parlement, plusieurs questions me viennent à l’esprit. La plus évidente, celle que nous nous posons tous j’imagine, se résume à ceci : à quel Poilievre aurons-nous affaire durant toute cette nouvelle session parlementaire ? Est-ce un Poilievre changé, plus mesuré, plus modéré, plus arrangeant, moins hargneux, moins arrogant, moins dédaigneux qui fera face à Mark Carney et son gouvernement ou, au contraire, aurons-nous droit au pit-bull de service pour qui je n’ai jamais ressenti la moindre affinité. Entre lui et moi aucun atome jusqu’à présent n’a osé s’accrocher.

Pierre Poilievre, le chef du Parti conservateur du Canada. | Photo de Sviatlana Tsikhanouskaya
En tant que chroniqueur satiriste (une auto-proclamation dont j’assume, non sans une petite gêne, l’entière responsabilité : la satire m’attire) je dois vous avouer qu’un changement pour le mieux d’une de mes bêtes noires de la politique canadienne me désarçonnerait bougrement. Que me resterait-il à raconter de désobligeant à son égard si jamais le chef du Parti conservateur s’adoucissait ? Que ferais-je de ma hargne, de ma grogne, de ma rogne ? Je serais réduit presque au silence, obligé de faire des éloges malgré mes instincts primaires qui ne verraient pas ce revirement d’un bon œil. Ce serait agir contre ma nature.
À bien y penser il est fort probable que le chef de l’opposition se trouve dans cette même situation tout aussi équivoque : devoir faire face à une nouvelle réalité qui vous oblige à aller à l’encontre de vos propres dispositions lesquelles, il doit le reconnaître, lui ont coûté cher comme peuvent le témoigner les dernières élections fédérales. « Être ou ne pas être, parler ou me taire » telles sont les questions Shakespeariennes que doit se poser notre chef de l’opposition en ce début de rassemblement parlementaire. Mieux vaut se taire aurait suggéré Voltaire qui maintenant vit mille pieds sous terre.
Pour ne rien vous cacher je n’envie pas la position dans laquelle se trouve Pierre Poilievre. Il est confronté à un dilemme particulièrement épineux, pour ne pas dire périlleux. Son poste est en jeu. En janvier 2026 les conservateurs devront décider au cours d’un congrès spécial si leur chef actuel fait l’affaire. Ses moindres gestes, ses moindres déclarations vont peser lourd dans la balance. Pas assez mordant ? Trop divisif ? Trop conciliant ? Trop agressif ? Qui sait ce qui titille l’esprit des membres du Parti conservateur ? Un numéro d’équilibre sans précédent attend le chef du PCC. En somme, l’idée, le défi auquel il va dorénavant devoir faire face, s’il veut avoir la moindre chance de succès, consiste à ne pas transformer le Parlement en un cirque. Pour ce faire, il devra jongler avec les mots, éviter de monter sur ses grands chevaux, dompter son humeur, se garder de faire le clown, démontrer un peu de magie et savoir travailler sans filet. Un exploit pas facilement à sa portée.
Si je me fie à la première semaine parlementaire qui vient de s’achever, je dois admettre qu’elle ne fut pas aussi houleuse que je l’avais envisagée. Monsieur Poilievre aurait-il mis de l’eau (pas de Vichy) dans son vin (de l’Okanagan) ? Fort possible. Après avoir chassé le naturel, ce dernier ne serait pas revenu au galop. Quel bonheur. Sa démarche reprendra sans doute au trot. Ce ne sera pas trop tôt.
Si le chef conservateur peut changer sa diatribe et améliorer son attitude, pourquoi ne pourrais-je pas faire de même en mettant un silencieux à mes sarcasmes ? Au fond, il faut que vous le sachiez, je ne lui veux pas de mal à notre chef de l’opposition. Mais cela me ferait mal s’il se mettait à faire du mal, d’où le mal que je me donne à ne pas dire trop de mal de lui; ce qui somme toute n’est pas si mal osait affirmer un mâle mal élevé.