le Mardi 28 octobre 2025
le Mardi 28 octobre 2025 0:25 Chronique

Y-a-t-il des politiques pour sauver l’océan ?

Y-a-t-il des politiques pour sauver l’océan ?
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« Si les océans meurent, nous mourrons tous. L’humanité ne peut survivre sur cette planète avec des océans morts. »

Lors de la dernière Assemblée des Français de l’étranger à Paris, j’ai eu l’honneur d’auditionner un expert et une sénatrice sur l’urgence océanique. Maxime de Lisle, marin, auteur et fondateur d’une organisation de protection des océans ainsi que Mathilde Ollivier, sénatrice écologiste, étaient invités. Ces passionnés ont offert un état des lieux des océans, mais également une alerte quant à la santé de la démocratie française. En matière d’écologie, même le consensus politique ne garantit rien.

L’océan est notre poumon bleu, notre plus grande réserve de biodiversité, notre premier rempart contre le changement climatique et une ressource critique pour l’alimentation humaine. Les pressions qui pèsent sur lui sont devenues insoutenables : pollutions, réchauffement, acidification et surpêche doivent être traités. Ces constats ne font plus débat. Les enjeux écologiques et de sécurité sont partagés des ONG jusqu’aux États, des scientifiques jusqu’aux politiques. Il est venu le temps de réglementer.

Alors que les océans se vident, on sait pertinemment quoi faire : les laisser en paix le temps qu’ils se reconstituent. Au mois de juin de cette année s’est tenu à Nice un sommet des Nations Unies pour la protection des océans dit « UNOC-3 ». Les États marins tels que la France et le Canada ont poussé pour l’adoption d’un traité sur la haute mer dit BNJJ Agreement[1] dont l’ambition est de sanctuariser 30% des océans au moyen d’aires marines protégées.

La sénatrice Mathilde Ollivier (4ème de gauche à droite) et les Conseillers AFE au sortir de l’audition sur l’urgence océanique du 13 octobre 2025.

Si le système alimentaire mondial compte sur la pêche, toutes les pêches ne se valent pas. Il y a d’une part la pêche industrielle, au chalut, destructrice, barbare et dopée aux subventions publiques qui dévore la faune sauvage plus vite qu’elle ne nourrit les hommes. D’autre part, il y a la pêche artisanale, lente, petite, respectueuse des écosystèmes et soutenable. Dans des aires marines protégées, la première serait interdite, et la seconde autorisée à ses abords. Au dire des experts, il faut transformer d’urgence le modèle productif. Les artisans pêcheurs génèrent plus d’emplois, une valeur ajoutée supérieure et de bien meilleurs produits de la mer. Leur heure est venue.

La France a ratifié le traité sur la haute mer en février alors que le Canada se fait toujours attendre. Le gouvernement doit désormais aligner son droit national sur son engagement international. « Et c’est là que tout se complique », explique la sénatrice. Avec ses équipes et ses appuis scientifiques, civils et politiques, elle avait stratégiquement planifié une proposition de loi devant le Sénat destinée à protéger les océans en saisissant l’occasion du sommet de Nice et le consensus politique qui s’en dégageait. Malheureusement, les sénateurs du centre jusqu’aux conservateurs ont rejeté en bloc l’ensemble des propositions.

Cette histoire est symptomatique d’une démocratie qui ne fonctionne pas comme elle le devrait. Les sénateurs sont des parlementaires chargés de voter la loi dans le souci de l’intérêt général. Malgré le consensus, en dépit de l’urgence, en dépit de l’engagement de la France, en dépit du bon sens, ils ont choisi de voter contre le texte. Ils ont voté pour le statu quo, pour ne rien changer, pour préserver des privilèges historiques accordés il y a un demi-siècle à une industrie de pêche devenue aujourd’hui le problème, ils ont voté contre les intérêts alimentaires, écologiques et économiques de moyen et de long terme.

Quelles leçons tirer de cette déconvenue ? Lors de l’audition, certains de mes collègues élus se sont offusqués en découvrant ces votes contre-productifs des sénateurs. Je les ai naturellement engagés à bien faire connaître leurs regrets à qui de droit. Que leurs pouvoirs et privilèges d’élus soient utilisés à bon escient !

Plus largement, il convient de s’interroger sur la santé des institutions démocratiques. Entre blocages idéologiques, esprit de camp et mauvaise volonté, peut-être est-il temps d’imaginer une fabrique de la loi revisitée. Et si au lieu d’un Sénat composé d’élus majoritairement hommes et âgés, loyaux à leur camp, leur territoire, leur histoire politique et victimes comme chacun de biais cognitifs, on imaginait un Sénat composé au moins pour partie de citoyens tirés au sort parmi la population ?

Un Sénat composé d’appelés formés, composé dans le respect des diversités de genre, d’âge, de région, de classe sociale… ne serait-il pas à même de garantir un système davantage démocratique, moins corruptible et, espérons-le, un peu plus intelligent ? En pareille situation d’urgence écologique, dans le contexte du sommet de Nice sur les océans, si la Sénatrice Ollivier avait demandé à des collègues-citoyens appelés au devoir de se prononcer pour ou contre réglementer davantage la pêche industrielle, pour ou contre créer de véritables aires marines protégées, pour ou contre réglementer la pratique destructive du chalutage, pour ou contre assurer la protection des ressources de la mer : à votre avis, qu’auraient-ils voté ?

 

Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et Conseiller des Français de l’étranger.