Soutenir à tout prix l’immersion française

Kirsty Peterson.
Photo par Canadian Parents for French

Alors que les touristes traînent encore leurs pas lents sur la rue Granville de Vancouver, le numéro 409, le siège du chapitre provincial et territorial de Canadian Parents for French (Parents canadiens pour le français) est en pleine effervescence. Avec la rentrée scolaire et leur déménagement imminent, les quatre employés permanents de l’organisme qui promeut le bilinguisme au profit des enfants issus de familles non francophones, ne connaissent pas la crise. Au moment où les enfants de Colombie-Britannique et du Yukon préparent leurs cartables, le journal La Source est allé à la rencontre du CPF, un organisme qui a réussi depuis plus de 35 ans à donner vie à la promesse canadienne du bilinguisme.

Histoire canadienne, histoires familiales en français
« Nous répondons aux requêtes de soutien de la part des bénévoles actifs au sein de la cinquantaine de chapitres de la Colombie-Britannique et du Yukon pour planifier les évènements pour la rentrée prochaine tels que le concours annuel d’art oratoire, Bilinguism rocks ou TRAD’BADOUR ! », nous explique Kirsty Peterson, qui travaille au sein du CPF en appui aux unités locales. Les fonds octroyés par le Ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles et le Ministère de l’éducation, ajoutés à ceux recueillis auprès des adhérents permettent également de mettre en place des coins lecture en français dans les bibliothèques publiques ou d’organiser des foires aux livres en français. Des activités qui paraissent simples, mais qui, à l’échelle de la Colombie-Britannique et du Yukon, requièrent des efforts de coordination importants car les acteurs et les moyens sont très divers.

Photo par Emily Bean, Flickr

Le CPF peut cependant toujours compter sur une armée de bénévoles qui constitue sa force et le secret de sa pérennité. Ce sont les parents eux-mêmes qui se mobilisent pour s’assurer que leurs enfants apprennent et communiquent en français, une langue qui n’est pourtant pas la leur. Ils expriment ainsi une volonté qui cherche à perpétuer l’idéal promu par l’ancien Premier ministre Pierre Trudeau à travers la Loi sur les langues officielles de 1969.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’histoire du CPF se mêle tant à celle de la reconnaissance du français comme langue officielle. Keith Spicer, le tout premier Commissaire aux Langues Officielles, nommé par Trudeau pour défendre le projet d’une fédération officiellement bilingue, ne pouvait pas concevoir le bilinguisme sans l’inclusion de la jeunesse. A la suite d’une tournée du pays à la rencontre des parents désireux de transmettre le français comme seconde langue et pour faire un état des lieux des difficultés alors mises en avant par les institutions scolaires locales, il a organisé une conférence nationale à Ottawa en 1977. Ce fut l’acte fondateur du CPF, organisation basée sur l’engagement et l’entraide de parents. Parmi les précurseurs au sein du bureau national originel, qui ne représentait alors que quelques provinces du Canada, siégeait déjà Mme Judith Madley pour le chapitre de la Colombie-Britannique et du Yukon.

Kirsty en fut l’une des premières bénéficiaires : « Il y a 25 ans, ma mère m’a inscrite à l’École élémentaire Richardson, une école d’immersion française de North Delta. Elle a appris le français pour m’aider à faire mes devoirs ! Quand j’ai eu mes deux enfants, j’ai fait le même choix qu’elle et je les ai inscrits à l’École Simon Cunningham de Surrey ». L’évidence avec laquelle Kirsty témoigne de cette continuité dans la transmission du français grâce aux écoles d’immersion tranche fortement avec les violentes controverses dans la société canadienne de l’époque au moment où naissait le CPF.

Keith Spicer, dans ses mémoires, raconte les « cris de colère, de désarroi et/ou de cynisme » qui ont présidé aux commencements du bilinguisme au Canada. De toutes parts, on ne manquait pas de reproches. Le camp québécois, loin d’y voir la promesse d’une meilleure représentativité, soupçonnait le gouvernement Trudeau de « jeter de la poudre aux yeux pour mieux ignorer leurs revendications ». Pour le camp anglophone, le bilinguisme, qui venait d’être officialisé, représentait une « provocation contre leur évidente domination » linguistique, politique et économique. Enfin, les autres groupes de la société y voyaient la sentence finale de leur relégation à la marge du face-à-face francophones/anglophones. Trente-cinq années plus tard semblent avoir radicalement changé la donne.

Diversité et bilinguisme
Petit retour un instant, cependant, sur ces groupes originellement non francophones ou anglophones. Certains reproches sont faits aux familles nouvellement immigrées d’Asie ou d’Afrique d’avoir une propension à moins soutenir le projet bilingue. Ce que les témoignages recueillis sur le terrain scolaire révèlent est tout autre. L’apprentissage simultané de plusieurs langues est un jeu à somme non nulle; c’est une gymnastique qui permet à l’enfant d’acquérir une plus grande aisance. Comme le souligne Kristy, le bilinguisme défendu par le CPF est une richesse pour les écoles canadiennes et non un affaiblissement de la polarisation sur le français et l’anglais.

Les mémoires de Keith Spicer.
Photo par Keith Spicer.

Que le bilinguisme soit accessible à toutes les catégories sociales est un progrès non négligeable. « Quand on regarde les photos des classes d’immersion en français, on se rend bien compte aujourd’hui que le bilinguisme n’est plus réservé, comme par le passé, aux seules familles aisées, souvent installées au Canada depuis plusieurs générations », nous dit Kirsty. « Tout le monde peut envoyer ses enfants dans une école d’immersion en français», complète Angela de Victoria. « Si je n’avais pas épousé un francophone [son époux est originaire du Rwanda, ndlr], ce qui me donne la possibilité d’envoyer mes fils dans une école française, je les aurais inscris dans une école d’immersion française. Malheureusement, à l’époque où j’étais à l’école, le système de l’immersion en français n’existait pas. J’aurais aimé commencer à apprendre le français plus jeune, plutôt que d’attendre d’arriver au secondaire ».

Le CPF répond ainsi à ce besoin ressenti par tant de familles de donner la chance du bilinguisme à leurs enfants. Il complète ainsi d’autres dispositifs favorisant et protégeant l’usage du français; c’est sans doute ce qui séduit aujourd’hui de plus en plus de parents de Whitehorse au Yukon à Vancouver en Colombie-Britannique.