Le nouveau visage de l’activisme

C’est une des images qui symbolisent la Colombie-Britannique. Celle de ces militants qui bloquent un terminal pétrolier pour dénoncer l’exploitation des sables bitumineux. Une forme d’activisme écologique qui tend à se raréfier à travers le monde selon les auteurs d’un livre passionnant. Dans Protest Inc – The corporatization of activism, Geneviève Lebaron et Peter Dauvergne détaillent le processus qui a poussé les organisations non gouvernementales à se transformer pour ressembler de plus en plus aux grandes multinationales.

Peter Dauvergne, professeur des relations internationales à UBC.

Peter Dauvergne, professeur des relations internationales à UBC.

C’est un rapprochement qui était jugé impensable il y a trente ans. Voir les plus grandes ONG de la planète travailler aux côtés de multinationales de l’énergie comme Chevron et ExxonMobil, ou d’entreprises de marque comme Apple et Nestlé. Ce modèle est pourtant aujourd’hui devenu une réalité, selon Peter Dauvergne, qui enseigne les relations internationales à l’Université de la Colombie-Britannique : « Si certaines organisations refusent encore l’argent des grandes compagnies, de nombreuses ONG y voient un moyen indispensable pour soutenir leurs programmes mais également pour payer leur personnel, le loyer et les factures d’électricité. » Ainsi, le partenariat signé entre la WWF et Coca-Cola en 2010 pour une valeur d’environ 20 millions de dollars permettait au Fonds mondial pour la nature de défendre les pandas et les ours polaires mais aussi de rétribuer ses quelque 5000 employés présents dans plus d’une centaine de pays. Des succursales à travers le monde entier, des placements, des actions et des budgets annuels atteignant plusieurs centaines de millions de dollars ; force est de constater que certaines organisations affichent des traits communs avec les grandes multinationales. D’autant plus qu’elles sont devenues de véritables marques qui tentent de se promouvoir et de se défendre. Amnesty International travaille ainsi avec l’agence de marketing GlobeScan tout comme Shell, BP ou Goldman Sachs, tandis que la WWF, encore elle, poursuivait avec ses avocats la fédération mondiale de catch pour utiliser son acronyme (World Wrestling Federation).

Le corporatisme est-il en train d’affaiblir l’activisme au profit des grandes entreprises de ce monde ?

« Cela ne veut pas dire que les activistes ont capitulé », tempère Peter Dauvergne, « mais cette nouvelle proximité avec le monde des entreprises les fait agir différemment. Ils ne sont plus aussi radicaux qu’il y a 40 ou 50 ans. Ils peuvent désormais participer aux grandes réunions et, dans un sens, influencer des décisions, mais ce sont toujours des solutions qui vont dans le sens du marché et qui renforcent au final la légitimité des grandes compagnies. » Pour exemple, les auteurs évoquent dans leur ouvrage l’une des campagnes menées par Greenpeace en 2011. L’organisation déclarait alors avoir remporté une grande victoire après que Mattel, le fabricant des poupées Barbie, a cessé d’emballer ses produits à partir de papiers issus de la destruction des forêts tropicales de l’Indonésie. « Cette campagne a certainement ses mérites, mais ce n’est pas une victoire ! Cela renforce la confiance du public dans la marque Greenpeace mais légitime aussi le commerce et la consommation auxquels l’ONG s’oppose depuis ses débuts et qui se base sur un modèle de croissance et de développement non durable ». Née à Vancouver en 1971, cette organisation composée à la base de pacifistes et d’écologistes compte aujourd’hui 1 600 employés dans le monde et un siège social à Amsterdam. Alors fait-elle aussi face à une pression de résultats à court terme ? Du côté de Greenpeace, on ne l’entend pas forcément de cette oreille. Pour Diego Creimer, responsable de la communication au sein du bureau de Montréal, la ligne est restée la même depuis 43 ans : « Nous n’avons pas abandonné la pratique de la désobéissance civile et nous restons totalement indépendants du marché des entreprises et des gouvernements. Nos donateurs représentent notre seule source de revenus et nous investissons constamment pour de nouvelles actions comme ces bateaux achetés pour aller dénoncer la plateforme russe de forage dans l’Arctique, ce qui a valu trois mois de prison à une trentaine de nos activistes l’an dernier.
Alors oui, nous avons une grande marge de manœuvre et nous garderons cette indépendance économique qui fait notre fierté et nous permet de ne pas avoir les mains liées. »

L’exception britanno-colombienne

Mais qu’en est-il à l’échelle de la province ? Est-il toujours possible de se battre sans utiliser les règles de ce nouveau système dépeint par les auteurs ? Si Peter Dauvergne le souhaite, il n’en est pas convaincu : « La Colombie-Britannique a certes une grande histoire de mobilisation et d’activisme mais je ne pense pas qu’elle soit préservée de ce genre de dérives. C’est un problème mondial ! Toutes les organisations doivent se retrouver pour en parler, sinon il y aura toujours de petits changements pour le bien de la nature, mais toujours dans le cadre du marché. Si vous souhaitez un vrai changement radical, ce n’est pas le bon chemin ! »

Alors qu’il revient tout juste d’une campagne dans l’Antarctique sur un des bateaux de Sea Shepherd Canada se battant contre les baleiniers japonais, l’activiste Rod Manning ne partage pas du tout ce point de vue. Pour ce responsable du réseau environnemental de Colombie-Britannique et co-fondateur de Greenpeace, « l’activisme est toujours bien vivant dans la province. Nous sommes une anomalie dans le système et il faut remonter dans le temps pour le comprendre. Lorsque les Anglais sont arrivés ici au XIXe siècle, le Roi George a reconnu la souveraineté des Premières nations sur ces terres. On les a consultées ici plus qu’ailleurs et on s’est inspiré de leur respect pour la nature et l’environnement. Ceci explique pourquoi des organisations comme Greenpeace et Sea Shepherd sont nées ici et pourquoi le combat fait rage face aux volontés des grandes compagnies et du gouvernement conservateur. La bataille est rude mais on ne rend pas les armes. On ne sait toujours pas qui la gagnera, la poussière des premiers combats n’est pas encore retombée. » En définitive, même si cela paraît plus simple, ce n’est pas en achetant du Coca-Cola que l’on sauvera un ours polaire.

Protest Inc – The corporatization of activism
Geneviève LeBaron
& Peter Dauvergne
200 pages
March 2014, Polity